PRÉFORMATION ET ÉPIGENÈSE
Triomphe des « œufs »
Après la découverte de l’« œuf » des vivipares (observé et décrit par les anatomistes Niels Steensen [1638-1686] et Reinier De Graaf [1641-1673]) et des « animalcules » de la semence masculine (identifiés au microscope par Antonie Van Leeuwenhoek [1632-1723] en 1677), l’une et l’autre théories de la reproduction vont être déclinées en version « oviste » ou « animalculiste », selon que la tâche de contenir le germe préformé ou le principe informe est confiée aux « œufs » ou aux « animalcules ».
L’ovisme conquiert rapidement la faveur de la communauté scientifique, qui abandonne la doctrine de la double semence. Mais cette nouvelle théorie n’est pas non plus exempte de difficultés. On ne sait notamment pas détecter les œufs, dont on accepte l’existence sans les avoir jamais vus avec certitude. Disséquant des lapines fécondées, De Graaf constate la transformation en corps jaunes de quelques vésicules bien évidentes sur leurs ovaires et il remarque la correspondance entre le nombre des embryons et celui des follicules qui avaient éclaté en atteignant leur maturité. Mais il n’arrive pas à saisir le moment où les œufs sont libérés, et c’est seulement sur la base de cette coïncidence numérique qu’il identifie les corps jaunes avec les œufs. La « chasse » à l’œuf des vivipares se poursuit durant deux siècles sans succès, confortant la conviction que l’œuf existe nécessairement dans le corps jaune, mais qu’il est, tout aussi nécessairement, invisible. De même, personne ne réussit à expliquer de façon convaincante son arrivée dans la matrice à travers les trompes de Fallope. Le mécanisme de la fécondation reste également inexplicable.
Malgré ces difficultés, l’ovisme emporte une large adhésion dans le milieu scientifique et, dans les années 1740, le naturaliste genevois Charles Bonnet (1720-1793) le rend encore plus crédible en découvrant la parthénogenèse de certains insectes parasites des plantes : que les femelles de ces pucerons se reproduisent sans accouplement semble confirmer parfaitement l’origine de l’embryon dans les œufs, et donc la reproduction par la seule voie maternelle.
Le germe peut-il cependant se trouver dans la semence du mâle ? Jusqu’au milieu du xviie siècle, les connaissances relatives à la composition et à la fonction du sperme ne connaissent pas de progrès substantiels depuis l’Antiquité. Les choses changent radicalement lorsque le liquide séminal est examiné au microscope et quand Van Leeuwenhoek décrit les spermatozoïdes. Après avoir observé leur cycle vital et leur morphologie, il affirme sans hésitation qu’ils sont de vrais animaux, des vers spermatiques. S’agit-il pour autant de germes ? La théorie animalculiste de la génération reste d’influence marginale par rapport à l’ovisme, parce que trop de doutes grèvent la crédibilité scientifique du système des vers spermatiques. Des animalcules presque identiques se trouvent en effet chez des espèces animales très différentes ; leur nombre est sans rapport avec celui des organismes conçus ; le mécanisme de leur production est obscur (d’autant qu’on les tient pour une véritable espèce animale), tout autant que celui de leur transformation en embryons. Même un microscopiste virtuose comme Van Leeuwenhoek ne parvient pas à voir (avec les instruments de l’époque, il ne le peut pas) la pénétration de l’animalcule dans l’œuf des ovipares. En ce qui concerne les vivipares, Van Leeuwenhoek ne réussit pas à déceler les œufs dans la matrice des animaux disséqués et remarque plutôt des spermatozoïdes qui remplissent même les trompes de Fallope ; il n’accepte donc pas que les « testicules » féminins soient des ovaires produisant des œufs et il affirme plutôt que le vermisseau se greffe directement sur la paroi utérine. Une théorie « ovo-vermiste » est élaborée vers la fin du [...]
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Écrit par
- Maria Teresa MONTI : professeure d'histoire des sciences, université du Piémont oriental, Verceil (Italie)
Classification
Médias