PRÉFORMATION ET ÉPIGENÈSE
Domination de la préformation oviste
À partir de la seconde moitié du xviie siècle, le cadre philosophique dominant va profondément évoluer. Le triomphe du modèle mécaniciste cartésien provoque l’écroulement, même dans les sciences de la vie, du paradigme aristotélicien, et avec lui le rejet de facultés occultes et de vertus formatrices. Anatomie et physiologie en profitent, mais les choses se passent différemment dans le domaine de l’embryologie. La raréfaction et la fermentation, réglées par les lois universelles du mouvement, doivent expliquer la naissance de la vie dans une symétrie parfaite entre épigenèse cosmique et épigenèse embryonnaire. Pour René Descartes (1596-1650), la génération des animaux supérieurs demande encore le mélange des deux semences, mais la force qui organise la matière et dirige le développement de l’embryon n’est pas du tout une âme ni un principe vital : c’est la chaleur. La formation du fœtus est une épigenèse mécanique qui se déploie par la formation successive des parties. L’origine de la vie ne semble donc pas susciter de questions théoriques particulières mais, bien que le philosophe s’attache aux dissections et à l’observation des œufs, sa théorie est un échec : si l’on considère la complexité de l’organisme vivant, c’est mission impossible que d’expliquer sa production avec les seuls rouages que Descartes emploie pour la construction de son Monde et de son Homme.
Dans la théorie préformationniste, le problème de la formation du vivant, de ses règles et de leur spécificité éventuelle est éliminé, puisque les organes préexistent avant de devenir visibles au long du développement. Au sein de cette doctrine, il existe pourtant deux prises de position différentes, dont on verra plus loin les représentants les plus significatifs. Selon l’une, l’ébauche existe au stade de l’incubation-gestation, mais n’existe pas avant. En d’autres termes, elle ne préexiste pas à la fécondation et se forme donc lors d’un processus tout à fait naturel comme l’accouplement. Selon l’autre, l’ébauche préexiste même à la fécondation et, de ce fait, sa préexistence remonte à un acte divin qui crée et emboîte tous les germes de toutes les générations de tous les êtres vivants dans les organes sexuels de la première femelle de chaque espèce. Cette variante du préformisme résout au moyen d’une « métaphysique de l’embryon » tous les problèmes inhérents à l’origine et à la transmission de la vie. Du même coup, elle vide de son contenu la reproduction elle-même, puisque rien ne se génère mais tout se développe en grandissant, selon les lois mécaniques universelles.
À partir des années 1670, chez les partisans de la préexistence s’impose donc un mécanicisme beaucoup moins audacieux que celui de Descartes. Pour conserver la possibilité d’une science de la génération, ils renoncent à questionner l’origine du vivant, qui échappe à la science et relève de la seule action créatrice de Dieu. Pour qui n’accepte pas l’existence de forces ou vertus plastiques, la thèse de l’« emboîtement » des germes les uns dans les autres depuis l’origine paraît la seule issue possible. La fécondation se réduit à la simple activation d’un dispositif mécanique, invisible certes, mais complet et prêt à fonctionner. Les interrogations s’arrêtent à la machine organique déjà structurée : c’est donc une renonciation (partielle) à la recherche. Puisqu’il est impossible de donner au problème de la génération des réponses cohérentes avec le modèle mécaniciste, le seul reconnu, c’est donc qu’il n’est pas du pouvoir des sciences d’enquêter sur l’origine de la vie et qu’il n’est pas du pouvoir de la nature de la réaliser. De cette façon toutefois, on sauvegarde la possibilité d’appliquer au développement de la vie les méthodes et les normes qui se sont affirmées et qui sont valables dans la lecture du monde physique.[...]
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Écrit par
- Maria Teresa MONTI : professeure d'histoire des sciences, université du Piémont oriental, Verceil (Italie)
Classification
Médias