PRÉFORMATION ET ÉPIGENÈSE
Observations en faveur de la préformation
Le naturaliste hollandais Jan Swammerdam (1637-1680) est en général considéré comme l’auteur de l’apport le plus significatif à la théorie de l’emboîtement. Car, en disséquant la chrysalide du ver à soie, il y décèle les organes enveloppés de l’insecte achevé. De cette découverte, il ne tire qu’une conséquence, toutefois révolutionnaire du point de vue scientifique : chrysalide et papillon ne sont que des formes diverses du même individu, dont la structure définitive se cache dans la forme transitoire de la chrysalide. Le savant en conclut que, dans la nature, il n’existe pas de métamorphose (selon la signification aristotélicienne du mot) ni de génération spontanée. Swammerdan ne donne pas la preuve observationnelle de l’emboîtement et il semble bien conscient des modifications profondes que les dispositifs de la larve subissent pendant le développement. Il est un observateur trop habile pour affirmer que le papillon adulte complet existe sous la cuticule de la chrysalide. Et, à plus forte raison, il ne démontre pas qu’on y trouve toutes les miniatures des insectes parfaits jusqu’à la fin des siècles. En outre, il connaît un ordre d’insectes où la métamorphose (selon la signification moderne du terme) entraîne la dissolution complète des parties larvaires, qui ne contiennent aucune structure de l’insecte achevé. Certes, Swammerdam cite la doctrine de l’emboîtement en 1672, lorsqu’il rapporte ses observations sur les œufs de grenouille, et il conclut à la preuve visible de la préexistence du têtard à la fécondation. Pourtant, en cette occasion, il réfère le système à un personnage bien plus autorisé que lui, qu’il ne nomme pas, mais dont on peut aisément comprendre qu’il s’agit de Nicolas Malebranche (1638-1715). De fait, en 1674, ce philosophe est le premier à formuler de façon complète et radicale la théorie préformationniste. Ce prêtre oratorien associe les observations des scientifiques avec les développements récents du calcul infinitésimal mais, surtout, sa philosophie créationniste et antinaturaliste nie aux causes secondes le pouvoir de produire la vie, et fonctionne comme un « microscope » bien plus puissant que tous les instruments du scientifique. Le travail d’interrogation de la nature passe ainsi chez Malebranche des yeux à l’esprit, des sciences à la métaphysique.
On présente aussi les observations embryologiques du microscopiste italien Marcello Malpighi (1628-1694) comme les preuves factuelles de la préexistence, alors qu’elles sont favorables à une position beaucoup moins radicale. Le savant parvient à voir les organes essentiels d’un embryon de poulet dans des œufs fécondés et pas encore incubés ; mais lorsqu’il ouvre des œufs vierges, il n’y trouve qu’un amas de matière informe. Malpighi s’abstient d’avancer toute interprétation, se contentant de confier à sa correspondance privée son aversion pour l’emboîtement. Cela n’empêche pas les préformationnistes d’affirmer que l’embryon invisible existe déjà dans l’œuf vierge (et d’annexer Malpighi à leur parti) et les épigénistes d’arguer que le germe se forge au temps de la fécondation (et d’annexer Malpighi à leur parti). En réalité, le savant italien avance une forme de préformation « naturaliste » (préformation à l’incubation, mais non à la fécondation), qui en général n’a pas été reconnue par les historiens des sciences, mais qui aura un certain nombre de partisans dans la communauté scientifique italienne.
Au début du xviiie siècle, la majorité des savants se range désormais en faveur de la préexistence et, outre les recherches de l’entomologiste français René Antoine Ferchault de Réaumur (1683-1757) et de Charles Bonnet, une « preuve » de la préexistence oviste semble être apportée par le médecin suisse Albrecht von Haller[...]
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Écrit par
- Maria Teresa MONTI : professeure d'histoire des sciences, université du Piémont oriental, Verceil (Italie)
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Médias