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PRÉFORMATION ET ÉPIGENÈSE

Crépuscule de la préformation

Ce qui est une preuve pour Haller sera radicalement contesté par le jeune embryologiste allemand Caspar Friedrich Wolff (1733-1794), qui reprend de façon systématique les observations sur les œufs de poulet et donne en 1759 une interprétation rigoureusement épigénétique de la formation de l’embryon. Il réfute même les résultats de Malpighi : toutes les parties de l’embryon se façonnent progressivement au cours de l’incubation. Cependant, la grande autorité scientifique de Haller l’emporte, d’autant qu’à sa démonstration s’ajoute bientôt celle de la préexistence du têtard « mise en évidence » par Lazzaro Spallanzani (1729-1799). Le biologiste italien compare des œufs de grenouille avant et après la copulation et son microscope n’y décèle aucune transformation, à savoir aucune trace d’organisation ni avant ni après l’accouplement. Sur la base de ces (non-)observations, Spallanzani estime en 1768 avoir atteint une démonstration concluante de la préexistence : si, après la fécondation, on ne voit pas d’ébauche structurée, il faut conclure qu’il n’y a aucune force épigénétique en mesure de permettre la formation de l’embryon. Le têtard est donc préformé dans l’œuf vierge, où il n’est rendu invisible que par sa transparence. De plus, Spallanzani est convaincu d’avoir réfuté l’animalculisme et il dénie à la semence masculine un rôle biologique en soi : puisque les œufs de grenouille se développent de façon plus que remarquable avant la fécondation, il n’est pas admissible que le liquide du mâle exerce une autre fonction que la stimulation physico-chimique d’un germe déjà parfaitement préformé. Après avoir réussi à féconder des batraciens (1777), Spallanzani réfute la thèse traditionnelle de l’« aura spermatica », c’est-à-dire l’action d’une mystérieuse partie volatile de la semence. Il rattache la fécondation à la partie « concrète » du liquide et essaie d’isoler sa fraction active. À l’intérieur de l’œuf, il ne voit pourtant aucun vermisseau spermatique, ni juste après la fécondation ni au cours de l’embryogenèse. Néanmoins, des échantillons de sperme qu’il tient pour dépourvus de spermatozoïdes se révèlent efficaces et Spallanzani conclut que les animalcules n’interviennent pas dans les processus de la reproduction. Les expériences continuent en 1780-1781 avec les mêmes résultats et elles sont étendues aux mammifères, que Spallanzani insémine avec succès. Il faut expliquer l’erreur commise par Spallanzani de considérer les « vermisseaux » comme tout à fait inopérants dans la fécondation. La solution se trouve dans les carnets de laboratoire de 1777, où le scientifique note l’efficacité du sperme sans animalcules en mouvement. De l’observation de spermatozoïdes immobiles, il déduit leur mort et, lorsqu’il publie ses résultats, l’absence de vermisseaux mobiles devient absence d’animalcules tout court : toutes les pièces du puzzle trouvent alors leur place dans la préexistence oviste. On comprend ainsi pourquoi les filtrations et les nombreux traitements que Spallanzani pratique ensuite sur le liquide séminal (séchage, pulvérisation, etc.) ne viseront plus à vérifier le rôle biologique des spermatozoïdes, puisqu’il l’a désormais exclu.

La préexistence a donc beaucoup pour séduire scientifiques et philosophes, au moins jusqu’aux découvertes biomédicales de la seconde moitié du xviiie siècle (l’irritabilité et la sensibilité des fibres vivantes avant tout), qui imposent finalement la mise au point d’un modèle épistémologique restituant son autonomie à la nature et permettant de l’aborder avec des critères nouveaux. C’est que, à l’aune de ces découvertes, la préformation accumule les contradictions et les incohérences. L’hérédité des caractères et les phénomènes d’hybridation et de croisement[...]

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Écrit par

  • : professeure d'histoire des sciences, université du Piémont oriental, Verceil (Italie)

Classification

Médias

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