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PRÉFORMATION ET ÉPIGENÈSE

Déploiement de la néo-épigenèse

Certes, les auteurs de ces découvertes travaillent à une réforme du système préformiste pour pouvoir y incorporer tous ces faits étonnants. Mais ils n’empêchent pas que la préexistence perde inexorablement du terrain face à la marée montante des nouvelles tendances épigénétiques de la fin du xviiie siècle. La matière cartésienne, passive et indifférenciée, cède la place à l’idée d’une nature parcourue par d’infinis processus énergétiques, dans laquelle le problème de la reproduction ne demande plus une intervention ni un projet divins. La matière est désormais perçue comme composée de « molécules organiques », c’est-à-dire de points physiques doués de force et de sensibilité. Tandis que la préformation exprimait une conception statique et fixiste de la nature créée par un acte unique et instantané, cette nouvelle épigenèse devient cohérente avec la conception d’une histoire de la nature et de la vie, terreau idéal pour les transformismes naissants.

Puisque le point faible de l’épigenèse avait été la nécessité d’admettre l’action de forces formatrices et régulatrices à l’œuvre dans l’ontogenèse, toutes les tentatives de refondation de la théorie insistent sur cette question, soit qu’elles restent, à différents égards, liées à une perspective mécaniciste, soit qu’elles s’aventurent dans une direction vitaliste. En réalité, personne (et les savants qui s’orientent dans la première direction pas plus que les autres) ne relance l’idée d’une épigenèse complètement mécanique. De ce point de vue, la position du philosophe et naturaliste Pierre-Louis Moreau de Maupertuis (1698-1759) est exemplaire. Fin connaisseur de Newton, il remplace en 1745 les « facteurs cartésiens » du mouvement par l’attraction entre « molécules organiques » et il conçoit l’embryogenèse comme un processus fondé sur le modèle des agrégations moléculaires. Avec l’union d’éléments similaires des deux semences (masculine et féminine), sa théorie des « affinités organiques » explique le concours des deux sexes à la génération, les phénomènes d’hérédité et les monstres. Les molécules organiques sont issues de chaque partie du corps des parents et elles se disposent pour reconstruire dans l’embryon les organes dont elles proviennent. En 1751, Maupertuis accepte pourtant l’existence de forces attractives spécifiques et exclusives du vivant, sélectives et même psychiques (sympathie, antipathie, mémoire), qui dirigent l’organisation des molécules. Il évite ainsi le recours à une intelligence extranaturelle, mais non à une faculté mystérieuse animant la nature. Cette solution rappelle celle du philosophe Denis Diderot (1713-1784) qui, à la fin des années 1770, confie l’organisation du développement à un point de matière vivante, une sorte d’embryon vital et sensible, auquel s’ajustent progressivement d’autres molécules jusqu’à la formation du système nerveux puis du corps entier. Mais la sensibilité de la matière comme critère directeur de l’épigenèse soulève de nombreux problèmes, avant tout celui du rapport entre la somme des sensibilités moléculaires et l’unité psychique de l’individu.

Pour sa part, le naturaliste Georges Louis Leclerc de Buffon (1707-1788) insère la théorie des molécules organiques dans un modèle physico-mécanique. En 1750, il positionne la préformation (c’est-à-dire pour lui la capacité de diriger et sélectionner les molécules) non pas dans un obscur psychisme de la matière, mais dans des dispositifs mécaniques et des forces physiques. Le germe est produit lors de la fécondation par agrégation de molécules qui proviennent des organes des parents et en reçoivent l’empreinte (le « moule intérieur »). De cette façon, Buffon rend compte non seulement des phénomènes de ressemblance et d’hérédité, mais surtout de la régularité[...]

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Écrit par

  • : professeure d'histoire des sciences, université du Piémont oriental, Verceil (Italie)

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Médias

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