PRÉFORMATION ET ÉPIGENÈSE
La résolution des énigmes
Épigenèse et préformation s’opposent et se combattent donc non seulement sur le problème spécifique de la génération, mais aussi sur toutes les questions, scientifiques et épistémologiques, qui lui sont associées. Ni l’une ni l’autre ne constitue un édifice théorique rigide et compact, s’adaptant aux découvertes et interagissant enfin avec les nouveautés scientifiques des Lumières. La guerre entre les deux systèmes ne couronnera pas un vainqueur, car ils sont confrontés tous les deux à des difficultés insurmontables mais qui n’apportent pas pour autant de réponses univoques à l’appui de l’un contre l’autre. Au cours du xviiie siècle, on a ainsi vu des épigénistes qui ont accueilli des éléments de la préformation pour résoudre les difficultés notoires d’une ontogenèse entièrement mécanique, mais des préformationnistes ont aussi accepté l’idée d’une plasticité des structures embryonnaires pour rendre compte de phénomènes d’adaptation et d’hérédité.
C’est en répétant les procédures expérimentales mises au point par Spallanzani sur les vermisseaux spermatiques qu’en 1824, les biologistes français Jean-Louis Prevost (1790-1850) et Jean-Baptiste André Dumas (1800-1884) réexaminent tous les problèmes anatomiques et physiologiques liés à cette dispute séculaire sur la génération. Ils contribuent de manière décisive à encadrer le mécanisme de la fécondation. Les deux scientifiques parviennent enfin à observer les spermatozoïdes pénétrant la capsule gélatineuse des œufs de grenouille et entrant en contact avec la membrane vitelline. Ils démontrent que les acteurs de la fécondation sont les « animalcules », que tous les préformationnistes avaient considérés comme de vrais animaux.
D’autres problèmes, soulevés depuis le milieu du xviie siècle, vont être résolus. Le cas le plus connu est sans doute celui des œufs des mammifères, dont l’existence était admise de tous, mais que personne n’avait jamais vus. En 1827, le biologiste allemand Karl Ernst von Baer (1792-1876) isole et observe finalement à l’intérieur du follicule de De Graaf une formation ovulaire identique à celles qu’il trouve dans les trompes et dans la matrice. Enfin, l’application de la théorie cellulaire (1839) à l’embryologie n’est pas immédiate, mais se révèle finalement décisive pour dépasser l’antagonisme séculaire entre préformisme et épigenèse. En 1841, le physiologiste suisse Rudolf Albert von Kölliker (1817-1905) propose que l’œuf et le spermatozoïde aient une nature cellulaire, et démontre que leur fusion est à l’origine d’une cellule nouvelle qui, par des divisions successives, détermine la formation de l’embryon. L’énigme de la fécondation est définitivement résolue par le zoologiste et biologiste allemand Oskar Hertwig (1849-1922), qui met en évidence la fusion des pronucléus masculin et féminin. La théorie monoparentale de la génération – maternelle dans le cas de l’ovisme, paternelle dans celui de l’animalculisme – est donc ruinée : mâle et femelle participent de façon égale à la génération du vivant. La préexistence invisible d’un germe miniature de l’organisme adulte est également démentie. Sous le microscope de von Baer, les phénomènes qui suivent la fécondation ne manifestent pas du tout le développement d’une organisation préexistante, mais une séquence de processus par laquelle se forge graduellement la structure du nouvel individu. L’œuf se segmente, les feuillets se forment et glissent les uns sur les autres, les couches de tissu naissent indifférenciées et se spécialisent ensuite jusqu’à produire les structures complexes. Le processus de la morphogénèse n’est donc ni le développement d’une miniature ni l’auto-organisation d’une matière tout à fait informe. À la base de l’embryogenèse, il y a plutôt un plan qui se reproduit dans le temps, qui se cache à l’intérieur[...]
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Écrit par
- Maria Teresa MONTI : professeure d'histoire des sciences, université du Piémont oriental, Verceil (Italie)
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Médias