ANATOLIENNE PRÉHISTOIRE
La civilisation de Çatal Hüyük
Le VIe millénaire est une époque de plein épanouissement pour les villages d'agriculteurs-éleveurs néolithiques du Proche-Orient, désormais tous pourvus de céramique. À présent, l'Anatolie a non seulement rattrapé son retard, mais la civilisation de Çatal Hüyük qui s'y déploie dans la haute plaine de Konya, entre 6000 et 5500 avant J.-C., est sans doute la plus brillante de l'époque. Qualifiée de « supernova » par le fouilleur du site, James Mellaart, elle a aussi passé pour la « première ville ». Même si cette appellation est exagérée (aucun signe de la hiérarchisation sociale qui caractérise le stade urbain n'y est encore perceptible), il reste que le village occupe 13 hectares, où l'architecture, particulièrement dense, est du type agglutinant. Ses habitants cultivent non seulement les céréales (blé et orge) mais les pois, les lentilles, le lin, suivant des techniques impliquant désormais l'irrigation. On élève des porcs, des moutons, des chèvres et bientôt des bœufs. L'artisanat très élaboré ne se limite pas à la production de céramique et d'outils en obsidienne : de beaux miroirs sont aussi polis dans ce matériau, le cuivre et le plomb sont travaillés pour la parure, le bois pour la confection de récipients, le cuir et les fibres végétales pour l'habillement. Enfin, une documentation sans égale a été fournie par Çatal Hüyük sur la religion néolithique : les maisons comportant en général deux pièces, l'une d'elles est chaque fois un véritable sanctuaire domestique, avec des sépultures dans des banquettes d'argile, des hauts-reliefs et des fresques peintes sur les murs, des statuettes de pierre et des figurines de terre cuite dans le mobilier. Les thèmes traités par cet art font apparaître deux instances symboliques dominantes à statut de divinités. L'une, qui a déjà forme humaine, est la Déesse mère représentée parturiente dans les hauts-reliefs muraux ou dans des statuettes, dont la plus célèbre la montre assise sur un trône de panthères. Un environnement de bêtes sauvages, en général dangereuses ou carnivores (belettes, vautours, renards, sangliers), paraît souligner aussi son aspect funéraire. La seconde figure, encore animale, est le taureau, représenté lui aussi de façon monumentale et quasi obsessive, sous forme de bucranes d'argile saillant des murs, de piliers hérissés de cornes, ou en figure centrale des fresques peintes. On a montré, depuis, que ces cultes ne sont pas propres à l'Anatolie mais caractérisent la religion néolithique du Proche-Orient dans son ensemble, mais nulle autre région n'en a donné d'expression artistique aussi luxuriante. Seule l'Anatolie elle-même livrera en effet un peu plus tard, à Hacilar et à Höyücek, un ensemble de statuettes féminines comparables à celles de Çatal.
La civilisation de Çatal Hüyük est donc un phénomène propre au sud de l'Anatolie centrale du VIe millénaire. On connaît depuis peu la lointaine filiation qui la relie vers l'est au P.P.N.B. du Levant, mais elle constitue un ensemble singulier et relativement circonscrit. La côte méridionale de Cilicie en particulier, avec le village préhistorique de Mersin, apparaît alors comme un monde différent, dans l'orbite culturelle des cultures syriennes contemporaines utilisant le silex et une céramique noire lustrée caractéristique.
Quant à l'Anatolie occidentale, elle a paru longtemps dépourvue de toute occupation néolithique. Même la civilisation anatolienne du Ve millénaire, improprement appelée « chalcolithique » puisque le cuivre est déjà en usage depuis longtemps, semblait buter sur une barrière invisible laissant hors d'atteinte l'Ionie et les bords de l'Égée. Ce vide de la carte posait un problème, dans la mesure où, dès le VI[...]
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Écrit par
- Jacques CAUVIN : directeur de recherche au C.N.R.S.
- Marie-Claire CAUVIN : directeur de recherche au C.N.R.S., directeur de la mission de Cafer Höyük et de préhistoire anatolienne du ministère des affaires étrangères
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