PRÉHISTOIRE Cannibalisme
Un site majeur
Depuis 1991, de nombreux restes humains ont été mis au jour dans les niveaux moustériens de la Baume Moula-Guercy, sur la commune de Soyons en Ardèche. La séquence stratigraphique riche de 20 couches, exclusivement attribuée au Paléolithique moyen, est actuellement observable sur plus de 7 mètres de hauteur, sans que le substratum ait été atteint.
Les études réalisées permettent de subdiviser cette séquence en trois phases climatiques majeures mises en correspondance avec les stades 4 et 6 de la chronologie isotopique marine. La formation intermédiaire, épaisse de plus de 1 mètre, livre une succession de cinq couches archéologiques attribuée au stade 5 (entre 80 000 et 120 000 ans). Les restes animaux (grande faune et rongeurs) indiquent un climat tempéré, alors que la biométrie de certaines des espèces rencontrées permet de placer cette formation à la charnière entre le Pléistocène moyen et supérieur (vers 120 000). C'est dans le niveau d'habitat de la couche XV (daté d'environ 100 000 ans) que fut mise au jour une importante série contenant près de 100 restes humains dispersés dans la couche (fragments crâniens, mandibule, dents, éléments post-crâniens), correspondant à au moins 6 individus (2 adultes, 2 adolescents et 2 enfants âgés de six à sept ans). Cette couche qui n'a pas connu de perturbation depuis sa mise en place présente donc des conditions de conservation idéales.
Afin de démontrer l'identité de traitement entre l'homme et l'animal, nous avons réalisé une étude taphonomique comparative entre le cerf, qui est l'espèce animale la mieux représentée avec 5 individus, et l'homme.
Nous remarquons que tous les éléments appartenant aux crânes, aux mandibules et aux os longs des membres des deux espèces se présentent sous forme de fragments. La plus forte proportion d'éléments crâniens chez l'homme peut s'expliquer par le fait que la fracturation du crâne humain fournit un plus grand nombre de fragments que pour le cerf, mais peut-être aussi parce que tous les crânes de cerf n'ont sans doute pas été introduits dans la cavité, alors que les carcasses humaines ont été exploitées dans leur totalité.
Le fort degré de fragmentation des éléments osseux ne peut s'expliquer que par la volonté de récupérer la moelle et le cerveau dans les deux espèces. Plusieurs faits corroborent cette affirmation : le nombre de points d'impact observés sur les ossements (crânes et os longs), la morphologie des fractures qui atteste une fracturation sur os frais et surtout le fait que seuls les os possédant de la moelle ont été brisés. La démonstration est apportée par le traitement différent réservé aux métapodes (os des mains et des pieds). Tous sont fragmentés chez le cerf et aucun chez l'homme. Or, du fait des fortes différences anatomiques, dans ce type d'os, la moelle est abondante chez le cerf et absente chez l'homme. Enfin, les ossements du tarse et du carpe, dépourvus de moelle, sont intacts chez les individus des deux espèces.
Membres, crânes et ossements du squelette axial présentent dans tous les cas chez l'homme un nombre de stries de boucherie beaucoup plus important (50,4 p. 100) que chez le cerf (14 p. 100). On lit dans la morphologie des stries et dans leur localisation anatomique plusieurs types d'actions correspondant au dépouillement, au démembrement et à la décarnisation.
L'écorchage est attesté par les stries laissées sur le crâne, correspondant vraisemblablement à l'enlèvement du cuir chevelu. Les stries observées sur les clavicules, les radius, les ulna (cubitus), et les calcanéums, montrent que l'épaule, le coude et le pied ont été désarticulés. Enfin, les traces de décarnisation perceptibles sur les crânes, les mandibules et les fémurs prouvent l'enlèvement du muscle temporal sur les deux adolescents,[...]
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Écrit par
- Alban DEFLEUR : docteur en préhistoire, professeur
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