PRÉHISTOIRE Cannibalisme
Interprétations
Les traces laissées par les bouchers moustériens à la Baume Moula-Guercy doivent nous amener à admettre la pratique du cannibalisme chez certains Néandertaliens. Cependant, il est difficile de débattre sur leurs motivations. Les éléments en notre possession ne nous permettent pas de trancher en faveur d'une hypothèse aux dépens d'une autre. Toutefois, le fait que cette grotte soit au contact de plusieurs niches écologiques, plateaux, vallée et plaines alluviales du Rhône, ainsi que la richesse des biotopes au moment de la transition Pléistocène supérieur et moyen dans cette partie de l'Europe, nous incite à écarter l'hypothèse d'un cannibalisme de subsistance. Les tranches d'âge des individus consommés ne corroborent pas non plus cette hypothèse. Le grand nombre d'individus consommés durant le court épisode de temps correspondant au dépôt de la couche XV va également à l'encontre d'un endo-cannibalisme. Doit-on pour autant privilégier l'hypothèse de l'exo-cannibalisme ? Il est trop tôt pour le dire. Cependant, la précision des gestes du (des) boucher(s) que l'on pourrait qualifier de chirurgicale traduit une indéniable expérience en matière de découpe des carcasses humaines et montre que le ou les auteurs n'en étaient sûrement pas à leur coup d'essai.
Les recherches prévues concernant tant l'ADN que le régime alimentaire de ces populations permettront peut-être de lever une partie du voile sur les raisons de ce comportement.
Bien que marginale durant toutes les périodes de la préhistoire, le cannibalisme semble s'inscrire en Europe dans une longue tradition comme l'a montré récemment la fouille du site de la Gran Dolina à Atapuerca, en Espagne, daté de 800 000 ans. Il devient anecdotique au cours du Paléolithique supérieur, période pour laquelle on ne peut citer aucun gisement livrant plus que quelques ossements humains décarnisés ou brûlés. Cependant, il ne disparaît pas totalement aux périodes plus récentes car il est à nouveau attesté dans le Néolithique de Provence (grotte de Fonbrégoua, Var) et, pour l'époque historique, chez les Indiens Anasazi.
Des archéologues américains ont en effet mis récemment au jour, dans le sud-ouest du Colorado, de nombreux restes humains décharnés, brisés et pour certains brûlés, dans plusieurs habitations troglodytes des Indiens Anasazi. Une de ces habitations, datée de 1150 de notre ère, a livré, mêlés à des outils et des instruments de cuisine, un millier d'ossements humains fragmentés appartenant à des individus des deux sexes, d'âges divers. Certains de ces ossements présentent une usure localisée aux extrémités, montrant qu'ils ont tourné dans un récipient lors d'une cuisson à l'eau (pot polish). La preuve d'une pratique du cannibalisme dans ce site a été apportée par la découverte d'un coprolithe, attribué par sa morphologie à l'homme, qui contenait les traces d'une molécule humaine : la myoglobine, qui ne peut se retrouver dans les selles qu'à la suite d'une ingestion. Bien que certains contestent, selon nous à tort, son appartenance à l'espèce humaine, ce coprolithe, associé aux autres faits (fragmentation anthropique, traces de découpe, pot polish), doit être interprété comme une preuve irréfutable de cannibalisme.
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Écrit par
- Alban DEFLEUR : docteur en préhistoire, professeur
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