- 1. Sciences sociales, recherches sociales et quantification
- 2. Les premières connaissances concrètes et quantifiées du social
- 3. De l'Antiquité à la Renaissance
- 4. Les débuts de la statistique descriptive et quantitative au XVIe siècle
- 5. Les recherches sociales concrètes et quantifiées aux XVIIe et XVIIIe siècles
- 6. Bibliographie
SCIENCES SOCIALES PRÉHISTOIRE DES
Les premières connaissances concrètes et quantifiées du social
Le souci de compter et de se compter remonte aux plus anciennes civilisations connues. On ne le rappelle pas ici par goût de l'exhaustivité mais pour mieux montrer l'illusion de séparations trop précises : celles de la périodisation certes, avec des surgissements bien identifiés et des révolutions qualitativement radicales et radicalement datées ; celles aussi que l'on dresse entre le savoir et les savoir-faire, entre les sciences et les techniques. Très longtemps avant que se constitue une « arithmétique politique » aux connotations encore pratiques mais qui donnera naissance à plusieurs sciences sociales distinctes, on relève les traces de ce qu'on peut appeler un « art social » ou, sans excès d'anachronisme, une « technologie sociale » ou « expertise sociale » qui supposent l'existence de bureaucraties (sinon de véritables technocraties) dont le double but, concernant la société, est de savoir afin de pouvoir.
Ainsi en est-il de l'idée et des tentatives de dénombrement dans les cités-États et les grands empires de l'Antiquité. D'excellents auteurs ont adopté dans des ouvrages très accessibles (G. Pieri, 1968 ; M. Reinhard, A. Armengaud et J. Dupâquier, 1968 ; J. Hecht, 1977) un ordre d'exposition commode qu'on se contentera de reprendre. La civilisation de Sumer, l'une des plus anciennes qui nous soient connues (VIe-fin du IVe millénaire av. J.-C.), a laissé des tablettes d'argile portant en caractères cunéiformes des listes de biens et de gens dénombrés selon une numération sexagésimale. Ensuite, vers 3000 avant J.-C., des États s'organisent du Nil à l'Indus. Le souci du nombre et la science arithmétique apparaissent à peu près au même moment, mais pas dans toutes ces civilisations simultanément ni avec la même emprise. Certains auteurs ont cru pouvoir affirmer au sujet de ces civilisations que « celles de l'Indus demeurèrent étrangères au souci statistique, qui fut pourtant commun à la Mésopotamie, à l'Égypte et à la Chine » (M. Reinhard et al., p. 23, 1968). Cela n'est sans doute vrai que pour les civilisations de l'Indus des IIIe et IIe millénaires : pour l'Inde du ive siècle avant J.-C., l'Arthaśâstra de Kautilya (M. Dambuyant, 1971) révèle un souci de science de la société au sens large et de statistique au sens strict qui classe l'auteur au niveau de Machiavel et de Vauban (J. Hecht, pp. 27 et 28, 1977).
Les civilisations du Nil et de l'Euphrate
La Mésopotamie émergeant du Déluge vers l'an 3000 avant J.-C. apporte une civilisation développée, une population nombreuse, une science des nombres poussée servant de support à l'astronomie – le calendrier lunaire se perfectionne peu à peu en s'appuyant sur les mouvements solaires – mais appliquée aussi à une meilleure connaissance des éléments constituants de la société. L'État recensait périodiquement les imposables et leurs biens. On sait que l'opération administrative et fiscale avait aussi une valeur religieuse qui se retrouve en Israël et à Rome. Sur les tablettes de Chagar Bazar, le même terme signifiant à la fois « purifier » et « recenser » figure sur des comptes mentionnant les quantités de denrées alimentaires comme offrandes rituelles à l'occasion d'un dénombrement. À vrai dire, il n'y a rien d'étonnant dans cette union intime du rite, du mythe et du fait positif (cf. C. Morazé, 1975, par exemple). Cependant, la comptabilité sociale ainsi entreprise demeure limitée dans son extension : en effet, si certains fragments ont fourni des listes détaillant les membres d'une famille ou d'une maisonnée, rien ne subsiste qui s'applique à un quelconque ensemble politique, et moins encore à l'État, si ce n'est des listes de contingents armés (Sainte-Fare Garnot, 1958) ou[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Bernard-Pierre LÉCUYER : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de l'Université, directeur de recherche au CNRS
Classification
Média
Autres références
-
CONDORCET MARIE JEAN ANTOINE NICOLAS CARITAT marquis de (1743-1794)
- Écrit par Bernard VALADE
- 1 581 mots
- 1 média
Dans la dernière partie de l'Esquisse (neuvième et dixième époques), Condorcet est cependant revenu avec insistance sur ce qui lui paraissait être essentiel : l'application du « calcul des combinaisons et des probabilités » aux sciences politiques et, d'une façon plus générale, l'union des sciences... -
MONTESQUIEU CHARLES DE (1689-1755)
- Écrit par Georges BENREKASSA
- 7 180 mots
- 1 média
...(1734-1743), entre Bordeaux et Paris, Montesquieu progresse dans la phase la plus importante de l'élaboration des principes de L'Esprit des lois : il entreprend d'éclaircir le lien de causalités générales et particulières, ce qui détermine l'esprit, l'humeur, les mœurs des hommes, individuellement... -
PETTY sir WILLIAM (1623-1687)
- Écrit par Bernard DUCROS
- 597 mots
Tour à tour marin, chirurgien, membre du Parlement, homme public et homme d'affaires, sir William Petty est surtout connu pour ses écrits économiques. L'ensemble de son œuvre permet de le situer comme l'un des plus notables auteurs de transition entre les mercantilistes et les libéraux. Sa ...
-
RECENSEMENTS DE POPULATION (HISTOIRE DES)
- Écrit par Fabrice CAHEN
- 7 680 mots
- 4 médias
Depuis la civilisation mésopotamienne, à l’origine des plus anciens dénombrements connus, jusqu’à la fin de l’Ancien Régime européen, le comptage humain consiste pour l’essentiel en un relevé partiel, et rarement réitéré, des individus ou foyers et des biens. Ces inventaires prennent des formes et des...