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SCIENCES SOCIALES PRÉHISTOIRE DES

Les premières connaissances concrètes et quantifiées du social

Le souci de compter et de se compter remonte aux plus anciennes civilisations connues. On ne le rappelle pas ici par goût de l'exhaustivité mais pour mieux montrer l'illusion de séparations trop précises : celles de la périodisation certes, avec des surgissements bien identifiés et des révolutions qualitativement radicales et radicalement datées ; celles aussi que l'on dresse entre le savoir et les savoir-faire, entre les sciences et les techniques. Très longtemps avant que se constitue une « arithmétique politique » aux connotations encore pratiques mais qui donnera naissance à plusieurs sciences sociales distinctes, on relève les traces de ce qu'on peut appeler un « art social » ou, sans excès d'anachronisme, une « technologie sociale » ou « expertise sociale » qui supposent l'existence de bureaucraties (sinon de véritables technocraties) dont le double but, concernant la société, est de savoir afin de pouvoir.

Ainsi en est-il de l'idée et des tentatives de dénombrement dans les cités-États et les grands empires de l'Antiquité. D'excellents auteurs ont adopté dans des ouvrages très accessibles (G. Pieri, 1968 ; M. Reinhard, A. Armengaud et J. Dupâquier, 1968 ; J. Hecht, 1977) un ordre d'exposition commode qu'on se contentera de reprendre. La civilisation de Sumer, l'une des plus anciennes qui nous soient connues (VIe-fin du IVe millénaire av. J.-C.), a laissé des tablettes d'argile portant en caractères cunéiformes des listes de biens et de gens dénombrés selon une numération sexagésimale. Ensuite, vers 3000 avant J.-C., des États s'organisent du Nil à l'Indus. Le souci du nombre et la science arithmétique apparaissent à peu près au même moment, mais pas dans toutes ces civilisations simultanément ni avec la même emprise. Certains auteurs ont cru pouvoir affirmer au sujet de ces civilisations que « celles de l'Indus demeurèrent étrangères au souci statistique, qui fut pourtant commun à la Mésopotamie, à l'Égypte et à la Chine » (M. Reinhard et al., p. 23, 1968). Cela n'est sans doute vrai que pour les civilisations de l'Indus des IIIe et IIe millénaires : pour l'Inde du ive siècle avant J.-C., l'Arthaśâstra de Kautilya (M. Dambuyant, 1971) révèle un souci de science de la société au sens large et de statistique au sens strict qui classe l'auteur au niveau de Machiavel et de Vauban (J. Hecht, pp. 27 et 28, 1977).

Les civilisations du Nil et de l'Euphrate

La Mésopotamie émergeant du Déluge vers l'an 3000 avant J.-C. apporte une civilisation développée, une population nombreuse, une science des nombres poussée servant de support à l'astronomie – le calendrier lunaire se perfectionne peu à peu en s'appuyant sur les mouvements solaires – mais appliquée aussi à une meilleure connaissance des éléments constituants de la société. L'État recensait périodiquement les imposables et leurs biens. On sait que l'opération administrative et fiscale avait aussi une valeur religieuse qui se retrouve en Israël et à Rome. Sur les tablettes de Chagar Bazar, le même terme signifiant à la fois « purifier » et « recenser » figure sur des comptes mentionnant les quantités de denrées alimentaires comme offrandes rituelles à l'occasion d'un dénombrement. À vrai dire, il n'y a rien d'étonnant dans cette union intime du rite, du mythe et du fait positif (cf. C. Morazé, 1975, par exemple). Cependant, la comptabilité sociale ainsi entreprise demeure limitée dans son extension : en effet, si certains fragments ont fourni des listes détaillant les membres d'une famille ou d'une maisonnée, rien ne subsiste qui s'applique à un quelconque ensemble politique, et moins encore à l'État, si ce n'est des listes de contingents armés (Sainte-Fare Garnot, 1958) ou[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de l'Université, directeur de recherche au CNRS

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Jean Bodin - crédits : AKG-images

Jean Bodin

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