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SCIENCES SOCIALES PRÉHISTOIRE DES

De l'Antiquité à la Renaissance

Les dénombrements et l'enregistrement n'étaient pas limités au seul monde soumis à Rome, puisque César, relatant dans la Guerre des Gaules(I, xxix) la prise du camp des Helvètes, fait état de tablettes de recensement écrites en caractères grecs portant la liste nominative « des émigrants (les Helvètes eux-mêmes) en état de porter les armes, et aussi une liste particulière des enfants, des vieillards et des femmes ». Suivent les chiffres concernant les Helvètes proprement dits, les quatre autres peuplades les accompagnant, les guerriers, enfin le nombre recensé sur ordre de César de ceux qui acceptent de retourner chez eux. Plus loin, à propos des Rèmes, alliés des Romains établis en Belgique, César signale chez eux le même souci de statistique concernant « le chiffre d'hommes que chaque cité avait promis pour cette guerre (contre les Romains) dans l'assemblée générale des peuples belges ». Suivent les chiffres concernant la plus puissante des tribus, celle des Bellovaques, et les autres tribus (ibid., II, iv).

Malgré cette présence indéniable d'éléments de dénombrement et d'une capacité de recensement chez les peuples « barbares », les invasions désagrégeant l'unité de l'Empire marquent un recul incontestable, confirmé par l'instauration progressive du régime féodal morcelant le territoire occidental en de multiples fiefs seigneuriaux laïcs ou ecclésiastiques se prêtant mal à des recensements d'ensemble. L'effort néanmoins n'a pas cessé sur toute la période. On retracera d'abord les principales étapes antérieures au xive siècle, qui marque un tournant tant pour les dénombrements que pour l'enregistrement, puis, du xive au xvie siècle compris, les progrès des recensements, ceux de l'enregistrement, enfin la véritable explosion de la statistique dite descriptive à l'époque de la Renaissance.

Des capitulaires carolingiens à l'« État des feux » de 1328

Des inventaires ou capitulaires de tous les biens (hommes, habitations, bétail et céréales) auraient été établis par les Carolingiens ; Pépin le Bref en 758 et Charlemagne en 762 auraient demandé une description détaillée de toutes les possessions ecclésiastiques : ces débuts de comptabilité économique ont d'ailleurs des antécédents dans les comptes privés retrouvés des grands domaines romains du Bas-Empire, particulièrement en Afrique du Nord. En 786, Charlemagne fit dénombrer tous ses sujets de plus de douze ans astreints à prêter serment.

Au ixe siècle, les polyptyques (tableaux à volets multiples), inventaires détaillés des seigneuries (terme non dépourvu d'équivoque), attestent un effort d'investigation socio-économique descriptive du système de production domanial. Le plus célèbre de tous est sans conteste celui dû à l'abbé Irminon, décrivant les terres de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, dont la meilleure édition demeure celle de Guérard (1836-1844). Pour le démographe moderne, deux points d'interrogation subsistent : la discordance entre le nombre d'hommes et de femmes, et le taux de reproduction calculé sur les chiffres donnés et qui apparaît anormalement bas, au point de mener à l'extinction de la population (44 enfants pour 29 ménages, exemple donné par J. Dupâquier). L'âge des adultes n'est pas indiqué. Au-delà des problèmes de sous-enregistrement, la question du régime démographique particulier reste ouverte. En dehors des spéculations excessives sur les infanticides, la comparaison avec des données qui concernent à la même époque les serfs de Saint-Victor de Marseille montre une faible nuptialité (imputable en partie à l'exaltation par le christianisme de la virginité, en partie à un déséquilibre effectif des sexes) doublée d'une faible fécondité due vraisemblablement à la persistance des pratiques païennes de contraception et d'avortement qui[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de l'Université, directeur de recherche au CNRS

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Jean Bodin - crédits : AKG-images

Jean Bodin

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