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SCIENCES SOCIALES PRÉHISTOIRE DES

Les recherches sociales concrètes et quantifiées aux XVIIe et XVIIIe siècles

Les trois courants

C'est seulement dans la seconde moitié du xviie siècle que les conceptions apparues en France, au xvie siècle, ont été mises en application. On verra finalement comment se nouent des relations changeantes et s'effectuent des interpénétrations entre ces trois grands courants de la recherche sociale : la statistique descriptive d'inspiration aristotélicienne principalement implantée en Allemagne, le souci français de recherches quantitatives exhaustives, enfin l'arithmétique politique d'origine anglaise qui connaît de très nombreux adeptes sur le continent. Ce ne sont donc pas deux sources (l'une qualitative, l'autre quantitative) de la recherche sociale empirique qu'il faut distinguer avec l'essai capital de P. Lazarsfeld (1961 ; traduction française B.-P. Lécuyer, 1970) mais bien trois. Le principal mérite de Lazarsfeld a été d'exhumer entièrement les grandes lignes de cette préhistoire de la recherche sociale (qu'il aimait appeler malicieusement « l'envers de l'histoire des sciences sociales ») et de rétablir la continuité de la tradition allemande de statistique descriptive. Il en a même pressenti, sans pouvoir l'argumenter plus avant, l'influence sur la France qu'il situait vers la fin du xviiie siècle. Nous savons aujourd'hui, grâce notamment aux travaux de J.-C. Perrot, que cette influence s'est exercée sensiblement plus tard, sous le premier Empire. Mais Lazarsfeld n'a pu saisir la position médiane de la France entre les courants britannique et allemand ni les multiples interférences qui en ont résulté (la France abandonnant vers 1740 l'idée des recensements sous l'influence, précisément, des arithméticiens politiques, alors que la Suède la mettait effectivement en pratique sans que l'on puisse affirmer clairement si ce fut de façon indépendante ou non).

L'école de la statistique descriptive allemande

La tradition de Munster, Sansovino, Botero, d'Avity et des Elzevier fut reprise après une interruption due à la guerre de Trente Ans, qui a laissé l'Europe centrale et plus particulièrement l'Allemagne exsangue et ruinée. Du point de vue politique et intellectuel, la situation allemande après les traités de Westphalie se caractérise par un déclin marqué des pouvoirs de l'empereur, par l'émiettement politique, dont les conséquences intellectuelles sont immédiates : « Le droit international, écrit Lazarsfeld, s'appliquait à quelques kilomètres de la maison ou du lieu de travail de chacun. »

Le premier ouvrage qui ait relancé cette forme de statistique en Allemagne (le terme lui-même n'étant apparu qu'en 1672 dans le Microscopium Statisticum de Helenus Politanius, qui a peut-être repris le terme de Machiavel) est le Vom teutchen Fürsenstaat de Ludwig Veit von Seckendorff qui décrit les principautés allemandes. Mais le véritable fondateur de la statistique au sens de « recherches en matière politique » (Sinclair, Observations sur la nature et les principes des recherches statistiques..., Londres, 1802), ou encore de « morphologie politique et sociale » est incontestablement Hermann Conring. Né en 1606, fils d'un pasteur de Friesland, il commence ses études à Helmstaedt dans le duché de Brunswick (plus ou moins dépendant alors du Hanovre), puis réside de 1625 à 1631 en Hollande, à Leyde, d'où Grotius est parti quatre ans auparavant. Ses études ont principalement porté sur la médecine : c'est aussi le cas de sir William Petty, son contemporain britannique, que Lazarsfeld lui oppose presque point par point. On note, au demeurant, que dans la préhistoire des recherches sociales le rôle des pasteurs, prêtres et médecins se révèle prépondérant. Conring s'est en outre pénétré des[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de l'Université, directeur de recherche au CNRS

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Jean Bodin - crédits : AKG-images

Jean Bodin

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