PREMIER MODÈLE D'UN UNIVERS EN EXPANSION
L’article fondateur
Alexandre Friedmann s’attache à chercher des solutions à ces mêmes équations, sans toutefois s’imposer ce postulat. En 1922, il publie en allemand, dans la revue ZeitschriftfürPhysik, son article fondateur de la cosmologie actuelle, intitulé « Über die Krümmung des Raumes » (Sur la courbure de l’espace). En effet, il a découvert, parmi d’autres également compatibles avec les équations, une famille de solutions qui implique « l’existence possible d’univers dont la courbure spatiale est constante par rapport aux trois coordonnées spatiales [celles de l’espace à trois dimensions], mais dépend du temps, c’est-à-dire de la quatrième coordonnée (temporelle) ». Il suppose un univers homogène à grande échelle, c’est-à-dire renfermant de la matière-énergie uniformément répartie dans l’espace (densité constante). La nouveauté radicale des modèles d’univers appartenant à cette famille est que la courbure de l’espace-temps, désignée par R(t), dépend du temps cosmique t. La grandeur R(t) peut évoluer au cours du temps de diverses façons, la valeur de la constante inconnue Ʌ fixant alors un modèle particulier : un univers en expansion, un univers en contraction, éventuellement un univers cyclique. Posant Ʌ = 0 pour simplifier, Friedmann recherche, au sein de cette famille de solutions possibles, celle qui pourrait représenter l’univers réel. Il utilise donc les indications que peuvent donner les mesures astronomiques disponibles, à savoir une estimation du nombre total d’étoiles et du volume occupé par celles-ci, ce qui permet de déduire un contenu de masse-énergie. Il suggère alors avec prudence une contraction puis une expansion de l’Univers réel, ayant débuté il y a dix milliards d’années et qui serait suivie d’une nouvelle contraction à l’avenir. Ces dix milliards d’années sont dix fois supérieurs à l’estimation, faite à cette époque, de l’âge des objets célestes supposés les plus anciens, telle la Terre. Ils sont remarquablement du même ordre de grandeur que l’âge de l’Univers retenu désormais par la cosmologie moderne (13,8 milliards d’années).
Einstein publie aussitôt, dans cette même revue allemande, une critique qui relève une erreur de calcul qu’aurait commise Friedmann. Il faut attendre mai 1923 pour qu’Einstein reconnaisse que l’erreur est de son fait et qu’il accepte le résultat de Friedmann.
Cette même année, Friedmann publie un livre en russe, davantage destiné aux philosophes et intitulé Mir kakprostranstvo i vremya (« L’Univers comme espace et temps »), qui décrit ainsi la solution trouvée : « …l’univers se contractant en un point (de volume nul), puis à partir de ce point, augmente de rayon jusqu’à une certaine valeur maximale. » Ici, en mettant en évidence l’existence possible dans l’évolution cosmique d’un point de volume nul, que l’on appellera désormais singularité, « il pose pour la première fois le problème du début et de la fin de l’Univers en termes scientifiques », écrira en 1997 l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet dans un de ses ouvrages.
En 1924, Friedmann publie, dans cette même revue allemande, un second article, dans lequel il complète par d’autres modèles d’univers les solutions possibles des équations d’Einstein. La brève et remarquable carrière de ce scientifique se termine prématurément par son décès en 1925, de la fièvre typhoïde, à l’âge de trente-sept ans.
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Écrit par
- Pierre LÉNA : professeur émérite de l'université Paris-VII-Denis-Diderot, membre de l'Académie des sciences
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