PREMIÈRE OBSERVATION D'UNE LENTILLE GRAVITATIONNELLE À L'ÉCHELLE D'UNE GALAXIE
Généralement, dans l’espace, trois coordonnées suffisent à définir la position géométrique d’un point, et l’on raisonne comme si le temps, unique et identique en tout point, était donné par une sorte d’horloge universelle. La relativité restreinte, formulée par Albert Einstein (1879-1955) en 1905, est venue rompre cette vision et a introduit une quatrième coordonnée, celle de temps, qui n’est plus identique en tout point. L’Univers a ainsi acquis une structure dite d’espace-temps dans laquelle ces deux paramètres – espace et temps – sont intimement liés. Entre deux points, la lumière suit un parcours dont la durée doit être minimale. En l’absence de masses de matière dans cet espace, ce parcours est rectiligne. En présence de ces masses – une galaxie par exemple –, le parcours devient courbe. Cette courbure est source d’effets optiques qui sont visibles sur certaines images astronomiques et appelés « mirages gravitationnels » ou « effets de lentilles gravitationnelles ». Un tel effet dû au Soleil a été observé en 1919, puis pour la première fois en 1979 à l’échelle des galaxies. Depuis et grâce à ces effets, l’astrophysique dispose d’un nouveau moyen pour étudier la répartition des masses dans l’Univers.
Prédiction de l’effet de lentille gravitationnelle
Albert Einstein a formulé la théorie de la relativité générale – encore dite théorie de la gravitation – en 1915. Elle relie la structure de l’espace-temps, définie par la relativité restreinte (1905), à la présence des masses qu’il contient. La représentation de cette relativité générale, donnée par John Wheeler (1911-2008), est explicite : « La matière dit à l’espace-temps comment se courber et l’espace-temps dit à la matière [matière-énergie] comment se mouvoir. » Cette affirmation se vérifie par une prédiction correcte de l’expansion de l’Univers, découverte en 1929, et par les conséquences cosmologiques à très grande échelle qui en ont été déduites depuis (par exemple la répartition de la matière noire).
Vérifier localement la relativité générale fut plus difficile, à cause de la petitesse des masses mises en jeu. En 1919, la courbure locale de l’espace due à la masse du Soleil a été observée lors d’une éclipse totale de Soleil et a confirmé la validité de la relativité générale. Pourrait-on observer un phénomène semblable causé par la masse d’une étoile lointaine ? La déviation des rayons lumineux par cette masse produirait un effet semblable à celui d’une lentille convergente en optique, d’où l’apparition de l’expression « lentille gravitationnelle ». La question est discutée dès 1924, mais il faut attendre 1936 pour qu’elle soit reprise par Einstein qui introduit l’idée d’effet de lentille gravitationnelle. Celui-ci prévoit que l’observateur terrestre doit voir un anneau autour d’une étoile quand celle-ci dévie les rayons lumineux issus d’une étoile plus éloignée, à une seule et rigoureuse condition toutefois : il faut que, pour l’observateur terrestre, ces deux objets soient très parfaitement alignés. Le diamètre angulaire calculé de l’anneau est si petit qu’aucun télescope n’aurait assez d’acuité pour le distinguer : « Bien sûr, il n’y a aucun espoir d’observer ce phénomène directement », concluait Einstein. Il se trompait.
Stimulé par cette analyse, l’astronome Fritz Zwicky, recherchant une méthode nouvelle pour déterminer la masse des galaxies, montre l’année suivante que l’effet de lentille sera plus aisément décelable si celui-ci est causé par une galaxie massive plutôt que par une étoile. Puis les astronomes se désintéressent de ce sujet jusqu’en 1970. Cette année-là, Roger Lynds et Vahe Petrosian, observant avec l’un des télescopes du site de Kitt Peak (Arizona), découvrent sur un cliché d’amas de galaxies[...]
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Écrit par
- Pierre LÉNA : professeur émérite de l'université Paris-VII-Denis-Diderot, membre de l'Académie des sciences
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