PRÈS DU CŒUR SAUVAGE, Clarice Lispector Fiche de lecture
Près du cœur sauvage, premier roman de Clarice Lispector (1925-1977) qu'elle écrit à l'âge de dix-sept ans, est publié en 1944. Son style radicalement nouveau marque le passage de la littérature brésilienne à une littérature introspective de très grande densité psychologique, qui déplace la veine régionaliste alors à son apogée.
Pour Clarice Lispector, comme pour Guimarães Rosa, autre écrivain qui dans les années 1940 contribue à la rénovation de la prose brésilienne, l'écriture est une laborieuse aventure du langage. La critique a salué les nouvelles voies inaugurées par ce premier roman, en soulignant ses affinités avec la prose de Virginia Woolf et de James Joyce : discontinuité narrative, rupture du principe de causalité, monologue intérieur, intériorisation de l'action romanesque, autant de procédés utilisés pour construire une forme singulière d'appréhension de la conscience individuelle. Le titre du livre est emprunté à une citation de Portrait de l'artiste en jeune homme (1916) de Joyce, choisie comme épigraphe.
Un itinéraire féminin
La première partie de Près du cœur sauvage présente la vie de Joana depuis son enfance jusqu'à l'âge adulte, à travers des épisodes fragmentaires et alternés, plutôt axés sur des sensations que sur des faits. Ses souvenirs d'enfance évoquent sa vie de petite fille, seule avec son père écrivain, après le décès de sa mère. L'atmosphère familiale difficile chez une tante qui l'a adoptée, après la mort de son père, sert de cadre à la phase problématique de sa puberté, lorsqu'elle fait la découverte de son corps et éprouve pour la première fois le désir et l'amour. Quelques flashes mettent en scène le quotidien de Joana adulte, mariée à Otávio. Joana s'observe, manifeste dans l'inquiétude le désir de vivre pleinement : « Peut-être n'était-ce que manque de vie : elle était en train de vivre moins qu'elle ne pouvait et imaginait que sa soif demandait des inondations. » Ses questions révèlent intuitivement une curiosité intellectuelle et philosophique : « Qu'est-ce qu'on obtient quand on devient heureux ? » ; « Et y avait-il un moyen d'avoir les choses sans que les choses la possèdent ? »
Dans la deuxième partie du livre, l'intrigue se déroule de fàçon plus linéaire autour d'un triangle amoureux : Joana, son mari Otávio, et Lídia, ancienne fiancée d'Otávio qui devient sa maîtresse. Joana n'a pas d'enfant et mène une vie banale. Comme la plupart des personnages féminins de Clarice Lispector, elle se débat entre l'horizon limité de sa vie quotidienne et sa soif de vivre. Ces contradictions l'amènent à un questionnement sur la possibilité d'être soi-même dans un rapport à deux, qui instaure la tension entre l'amour et la haine. Le dialogue entre Joana et Lídia, lorsque celle-ci lui apprend qu'elle est enceinte d'Otávio, interroge la condition féminine, en mettant face à face deux projets opposés. Séparée d'Otávio et d'un amant occasionnel, Joana se retrouve seule dans le chapitre final intitulé « Le Voyage », où un long monologue projette des images de mort, avant de basculer dans une autre direction. Alors, Joana resurgit de l'ombre : « un jour viendra où tout mon mouvement sera création, naissance, je briserai tous les « nons » qui existent à l'intérieur de moi ». Le récit s'achève ainsi sur une promesse de continuité : le personnage est prêt à poursuivre sa quête de plénitude existentielle.
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Écrit par
- Rita OLIVIERI-GODET : maître de conférences, département d'études des pays de langue portugaise, Université de Paris-VIII
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