PRESSE Sociologie de la presse
L'œuvre de Balzac mérite rarement le qualificatif de « sociologique » que lui prête la routine. Il est cependant un domaine où le rapprochement n'est pas déplacé. Balzac y parle d'un univers qu'il a connu de l'intérieur : la presse. Sa Monographie de la presse parisienne (1843) est le premier recensement des personnages qui produisent un journal. Illusions perdues (1837) évoque les rapports du journalisme à la politique, à la littérature. Alexis de Tocqueville sur le rôle de la presse dans la démocratie américaine (1835), Gabriel Tarde (1901) sur la manière dont la lecture des journaux donne naissance à une opinion publique anticipaient plus nettement encore sur une sociologie de la presse. Mais, malgré des contributions pionnières comme celle de Walter Lippmann (1889-1974) ou de Robert E. Park (1864-1944) aux États-Unis, celle-ci ne prend consistance qu'à l'issue de la Seconde Guerre mondiale.
Pourquoi la sociologie de la presse – où nous incluons presse écrite et médias audiovisuels ou électroniques – connaît-elle cet essor tardif ? Parce que aussi longtemps qu'une vraie liberté de la presse n'a pas été acquise, ce sont les philosophes ou les politiques qui ont pensé cet objet, l'associant à des questionnements sur le principe de publicité, les contre-pouvoirs. Comme le suggère l'essai devenu classique de Jürgen Habermas, L'Espace public (1976), il faut une série d'événements (apparition d'une presse populaire à la fin du xixe siècle, usage des médias par les régimes totalitaires, essor des médias audiovisuels) pour susciter des questionnements inédits sur le pouvoir des médias, les déconvenues de leurs promesses émancipatrices.
Pour prendre des repères dans une production sociologique dont le flux est devenu énorme depuis le début des années 1980, trois postes d'observations seront privilégiés. Le premier, inspiré d'une sociologie du travail ou des organisations, s'intéresse à la production de l'information. Le deuxième, plus proche d'une sociologie de la politique ou de la culture, porte sur l'obsessionnelle question de l'influence de la presse. Un dernier éclairage invitera à éviter une hyper-spécialisation : une sociologie de la presse doit questionner son rapport à d'autres espaces sociaux.
La fabrication de l'information
La sociologie de la presse souligne que le journalisme se doit d'autant plus d'être un métier organisé qu'un de ses défis est d'apprivoiser l'imprévu de l'actualité. Loin du cliché du journaliste profession libérale, elle met en évidence l'organisation des pratiques. Celle-ci passe par l'apprentissage d'un « métier » acquis en école ou sur le tas. Elle se lit dans le « rubricage » qui superpose à tel univers social (économie, sports) sa rubrique spécialisée, dotée de ses savoirs et modèles interprétatifs. L'organisation passe par l'opposition des journalistes « debouts » qui vont collecter l'information dans les commissariats, entreprises ou ministères et de ceux « assis » qui travaillent sur dépêches, corrigent la copie des premiers ou éditorialisent. La machinerie éditoriale, c'est enfin un tissu de mécanismes hiérarchiques, de comptes à rebours, d'outils de normalisation (dont des « formats » informatiques d'articles) qui garantissent le bouclage dans les délais.
Les travaux interactionnistes ont mis en lumière la manière dont le sens pratique du journaliste est d'avoir vite l'intuition de la « valeur d'information » (newsworthyness) d'un événement. L'événement X va-t-il capter l'attention, déclencher l'émotion ? Peut-on en faire sens sans complications excessives ? Donne-t-il prise à une bonne mise en récit ? La capacité à jauger de ces paramètres sans même les expliciter[...]
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Écrit par
- Érik NEVEU : professeur de science politique
Classification
Médias
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