PRESSE Sociologie de la presse
Un pouvoir d'influence surestimé
Le thème d'un pouvoir d'influence considérable de la presse resurgit régulièrement (Michael Schudson, 2003 ; Grégory Derville, 2005). Il trouve ses premières formulations avec l'école de Francfort dans les années 1930. Il se recompose dans les années 1950 dans le modèle dit de la « seringue hypodermique » : le message des médias pénètre un corps social qui en est le récepteur passif. Dès les années 1940, des études empiriques de Paul Lazarsfeld avaient pourtant fournies des données pour relativiser cette vision. L'impact des messages est filtré par l'appartenance des récepteurs à des groupes, des cultures, par le relais de leaders d'opinion. La généralisation de l'équipement des foyers en téléviseurs donnera une seconde vie aux théories de l'influence. La télévision ferait l'élection, conditionnerait les citoyens.
Il est aisé d'opposer à cette vision d'une omnipotence de la presse des faits têtus. Le référendum français de 2005 sur le traité constitutionnel européen a vu la victoire d'un non pourtant très minoritaire dans les lignes éditoriales. Il faut donc des cadres théoriques pour saisir les variations d'influence de la presse.
Un premier tient au degré de réalité des enjeux évoqués. Plus un problème est éloigné de l'expérience du récepteur (événements qui se déroulent dans un pays lointain), plus le message des médias peut avoir d'impact. Symétriquement, plus un enjeu fait partie de l'expérience vécue (emploi, protection sociale), plus les récepteurs disposent de connaissances qui filtrent les discours médiatiques. Une seconde problématique s'est développée dans les années 1970 à partir des travaux de Roger Cobb et Charles Elder aux États-Unis. Il s'agit des « effets d'agenda ». Le pouvoir de la presse serait moins d'imposer des significations que de hiérarchiser des problèmes, de fixer un « ordre du jour (c'est la traduction d'agenda) des débats publics et conversations privées. La manière de questionner l'influence évolue. Mais ne reste-t-on pas dans une vision forte des effets ?
La théorie de l'agenda doit se compléter de questionnements. Qui fait entrer des problèmes dans l'agenda médiatique : les journalistes, des groupes de pression, des partis, des mobilisations ? La corrélation entre une mise à l'agenda A et des comportements B concomitants est-elle forcément explication causale ? Les études de réception, nées dans les années 1980 (Brigitte Le Grignou, 2003), confirment, avec plus de richesse, la mise en garde de Lazarsfeld. C'est à travers les multiples filtres de leur scolarisation, de leur groupe social, de leurs identités (sexuelle, ethnique) que les récepteurs interprètent les messages. Elihu Katz et Tamar Liebes (1993) ont ainsi pu établir que le célèbre feuilleton Dallas était associé, en Israël, à des principes de perception liés à la culture des audiences. Les Juifs venus d'U.R.S.S. y repérèrent un tableau de l'immoralité du capitalisme quand les arabes israéliens furent fascinés par l'autonomie des personnages féminins.
Deux leçons se dégagent. Les récepteurs ne sont pas des cibles interchangeables, mais des êtres socialisés, outillés pour interpréter. Quand une influence existe, elle émane de réseaux d'interdépendances entre sources, groupes mobilisés et acteurs du monde de la presse.
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Écrit par
- Érik NEVEU : professeur de science politique
Classification
Médias
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