PRESSE Sociologie de la presse
Penser relationnellement la presse
La sociologie de la presse ne se limite ni a une sociologie du journalisme, ni à une sociologie de l'influence. Elle exige de penser relationnellement le rapport de la presse à d'autres univers sociaux.
Jeremy Tunstall caractérise le journal comme une structure gigogne. Chaque titre ou chaîne englobe une entreprise de production d'information centrée sur les producteurs de contenus (reportages, pages Web) dans une entreprise de presse qui doit assurer une diffusion maximale, capter de la publicité, satisfaire des actionnaires. Sans inventer un passé où la presse aurait été purement militante ou philanthropique, de nombreux travaux soulignent combien les logiques économiques affectent de plus en plus les contenus rédactionnels. Le souci combiné de réduire les coûts et d'augmenter la rentabilité induit un développement de l'emploi précaire, une déspécialisation des journalistes, la valorisation des rubriques jugées génératrices d'audience, l'encouragement de logiques de dramatisation. Le modèle dominant d'excellence accentuait hier la capacité à produire des informations originales, leur vérification rigoureuse, leur mise en perspective. Il se mesure désormais aussi aux parts de marchés, transcendées en verdicts démocratiques.
Le rapport de la presse à l'économie tient encore à son intégration dans des groupes industriels liés à d'autres activités. En France, la place d'une presse magazine où sources, annonceurs et parfois lecteurs se recouvrent largement (Jean-Marie Charon, 1993) permet de mieux comprendre ce rapport. Une sociologie relationnelle de la presse suppose aussi de demeurer attentif à ses relations avec diverses institutions (magistrats instructeurs, policiers, etc.), à sa place dans l'espace des productions culturelles, de repérer les moyens d'influence que conserve l'État, même démocratique.
On comprend alors l'attraction qu'exercent des modèles sociologiques qui pensent relationnellement, permettent de glisser du micro au macro. Les analyses de Pierre Bourdieu en termes de champ, celles de Norbert Elias en termes de configurations sont ainsi très sollicitées. Cette approche relationnelle est la seule pour défricher la comparaison internationale, alors que groupes de presse et les aires de diffusion s'internationalisent. Daniel Hallin et Paolo Mancini (2004) partent ainsi de quatre variables (marchés, professionnalisme des journalistes, rapport au politique, degré et nature de l'intervention étatique) pour construire une typologie stimulante des systèmes de presse.
Les Canadiens Colette Brin, Jean Charron et Jean de Bonville (2004) classent les évolutions contemporaines selon trois « paradigmes ». Le premier, antérieur à la consolidation de la liberté de presse, serait celui d'une « presse d'opinion » politique et militante. Le deuxième, né de la presse à grand tirage à la fin du xixe siècle correspondrait à celui d'une « presse d'information ». Elle revendique des valeurs d'objectivité et s'attache à rendre compte de l'actualité. Si ce deuxième paradigme est marqué par une visée commerciale, il s'adresse à un lecteur-citoyen pour qui il faut donner du sens au monde, de façon digeste et attractive. Enfin, le paradigme d'une « presse de communication » viserait davantage un lecteur-consommateur. Elle fait primer les « soft-news » et l'information pratique (loisirs, santé). Elle fonctionne comme interface entre une offre de biens et services et des lecteurs, souvent ciblés (magazines) en termes de hobbies, d'âge, de loisirs. Elle se dépouille par là un peu plus de la prétention à quelque forme de magistère qui donneront sens aux grands enjeux du monde.
Les ruptures dans la presse contemporaine affectent aussi le binôme information-communication.[...]
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Écrit par
- Érik NEVEU : professeur de science politique
Classification
Médias
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