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STURGES PRESTON (1898-1959)

La bouffonnerie et la grâce

Pour réaliser ses propres films, Sturges a dû bousculer la hiérarchie hollywoodienne à une époque où l'on ne « passait » pas du scénario à la réalisation. Scénariste le mieux payé de Hollywood, il propose donc aux responsables de la Paramount de réaliser son premier film pour dix dollars symboliques. The Great McGinty (Gouverneur malgré lui, 1940) est un succès et Sturges obtient l'oscar du meilleur scénario, ouvrant une brèche dans laquelle John Huston, Delmer Daves, Elia Kazan, Jules Dassin ou Billy Wilder ne tarderont pas à s'engouffrer. Après ce coup de maître commence pour Sturges sa grande période créative. En cinq ans et neuf films, le scénariste-cinéaste va installer la frénésie au cœur de Hollywood. Gouverneur malgré lui est une satire politique volontiers grinçante narrant la carrière édifiante d'un sans-abri (Brian Donlevy) qui, après avoir scrupuleusement voté trente-sept fois lors d'une élection, comprend le mécanisme de la démocratie américaine, et poursuit une brillante carrière d'homme politique jusqu'au jour où il accomplit une bonne action... qui précipite sa chute. Christmas in July (Le Gros Lot, 1940) stigmatise à la fois la publicité et les espoirs de richesse à travers l'histoire d'un jeune employé (Dick Powell) à qui ses camarades font croire qu'il a gagné un concours de slogans.

Mais ces deux premiers films n'apparaissent que comme d'aimables coups d'essai en regard des films suivants. Avec The Lady Eve (Un cœur pris au piège, 1941), le cinéaste dirige les stars Barbara Stanwyck et Henry Fonda dans une des plus brillantes comédies américaines qui fait se marier deux tonalités auparavant opposées par le genre : la sophistication et le burlesque. Sturges trouve son style, celui de la madcap comedy, la comédie échevelée, que sa structure empêche de verser dans le décousu. À travers une invraisemblable histoire de doubles aux évidentes connotations bibliques, Sturges renouvelle profondément le thème du milliardaire amoureux de l'aventurière. L'aspect réflexif de la démarche apparaît plus clairement avec Sullivan's Travels (Les Voyages de Sullivan, 1941) sans doute le film le plus célèbre de son auteur. Sturges y représente un réalisateur (Joel McCrea) auteur de comédies à succès qui, au désespoir de ses producteurs, décide de réaliser une œuvre sociale et, au désespoir de ses domestiques, entame son entreprise par un périlleux voyage au pays du peuple. Inspiré d'évidence par l'œuvre de Swift, le film procède par cercles concentriques, chaque voyage accusant méthodiquement la progressive perte d'identité de l'amuseur, jusqu'à une agression où il passe pour mort. La parabole et le désir d'écrire un art poétique sont clairs, mais le ton, toujours sec et éloigné du sentimentalisme, range Preston Sturges dans la lignée des satiristes qui, de Lucien à Karl Kraus, ont toujours préféré l'éthique de la clarté à celle du progrès.

The Palm Beach Story (Madame et ses flirts, 1942) est un film sur l'amour et l'argent. Joel McCrea et Claudette Colbert (ils s'appellent Tom et Gerry...) s'adorent mais les projets architecturaux de Tom – un aéroport suspendu – rendent la situation financière si peu florissante que Gerry, tout en restant profondément attachée à son mari, décide de partir en Floride à la recherche du milliardaire. Ce dernier personnage, essentiel à la vision « sturgésienne » du monde, essaime dans cette œuvre très représentative de la madcap comedy : Gerry, évidemment poursuivie par Tom, en rencontre d'emblée une dizaine dans le train pour Palm Beach. Il s'agit du célèbre Ale and Quail Club qui donne l'occasion d'une séquence d'anthologie où les riches chasseurs pris de boisson font un tel tapage (tirant à la carabine,[...]

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Écrit par

  • : professeur d'études cinématographiques et d'esthétique à l'université de Paris-Est-Marne-la-Vallée

Classification

Média

<it>The Sin of Harold Diddlebock</it>, de P. Sturges, 1947 - crédits : Bob Landry/ The LIFE Picture Collection/ Getty Images

The Sin of Harold Diddlebock, de P. Sturges, 1947

Autres références

  • COMÉDIE AMÉRICAINE, cinéma

    • Écrit par
    • 5 126 mots
    • 18 médias
    Fort estimée dans les années 1950, l'œuvre dePreston Sturges n'est plus appréciée à sa juste valeur, malgré des films comme Sullivan's Travels (Les Voyages de Sullivan, 1941), The Lady Eve (Un cœur pris au piège, 1941), The Palm Beach Story (Madame et ses flirts, 1942), The Miracle...
  • WILDER BILLY (1906-2002)

    • Écrit par
    • 2 395 mots
    • 1 média
    ..., c'est-à-dire de la compagnie la plus inventive et la plus raffinée de Hollywood. Le studio de Lubitsch et de Cecil B. DeMille est aussi celui de Preston Sturges, futur auteur des Voyages de Sullivan et surtout premier scénariste à avoir réussi le « passage » à la réalisation en 1940. Le grand succès...