PRÊTRE JEAN
Figure mythique, le Prêtre Jean représente pour les Occidentaux un puissant souverain chrétien, à la fois roi et prêtre, régnant au-delà des territoires qui leur étaient accessibles. Cette figure paraît s'être formée, à partir d'éléments divers, dans l'Orient latin, au contact des chrétiens orientaux (A. D. von den Brincken, Nationes christianorum orientalium, 1973). Le nom même pourrait venir de celui de l'empereur d'Éthiopie (Žan désignant l'empereur, qui recevait une ordination), d'après la conjecture de M. Marinesco : les pèlerins éthiopiens fréquentaient le Saint-Sépulcre. Mais la géographie médiévale englobait sous le nom d'Inde un vaste secteur allant de l'Afrique méridionale à l'Extrême-Orient, ce qui facilitait les glissements dans la localisation de son royaume. Et les circonstances amenèrent à confondre cette figure avec celle d'un roi David (originellement le roi de Géorgie), investi de la défense des Portes de Fer contre les « peuples immondes de Gog et Magog », qu'on situait au nord-est de l'Asie (J. Richard, « L'Extrême-Orient légendaire », in Annales d'Éthiopie, 1957).
On ne sait trop ce que dissimule la première attestation retenue : celle de la visite d'un archevêque des Indes, Jean, au pape Calixte II (1122). Mais la première mention du Prêtre Jean montre qu'on reconnut celui-ci dans le Gūr-khān des Kara Kitay, vainqueur en 1141 du sultan de Perse, Sanjar. On reconnut aussi le Prêtre Jean (ou le roi David) en Gengis khān, lorsque celui-ci vainquit le sultan de Khorezm en 1221. Chaque fois, on crut que le souverain oriental venait au secours des chrétiens de Terre sainte. Quand on connut mieux les Mongols, les uns supposèrent que ceux-ci avaient détruit le royaume du Prêtre Jean, qu'ils identifiaient à celui d'un des rois chrétiens des peuples turco-mongols, Naiman ou Kereit (Simon de Saint-Quentin) ; d'autres, que le Prêtre Jean les avaient tenus en échec (Plan-Carpin) ; d'autres encore reconnurent ses descendants dans la dynastie chrétienne qui régnait sur les Turcs Ongüt de Mongolie (Marco Polo).
Cependant, le Prêtre Jean était connu d'autre part par la visite d'un de ses envoyés au pape en 1177 (était-ce un Éthiopien ou un Nubien ?) et surtout par la célèbre Lettre du Prêtre Jean à l'empereur Manuel. Probablement d'origine byzantine, cette lettre décrivait les merveilles des Indes en les associant à des leçons morales. Ce texte maintes fois traduit et reproduit entretint jusqu'à la Renaissance cette croyance. On prit l'habitude de rechercher le royaume du Prêtre Jean du côté de l'Afrique méridionale et orientale. Le Libro del conoscimiento de todos los reynos, qui le situe dans cette région, donne même le dessin de ses armoiries, où figure la croix patriarcale... Dès le début du xive siècle, on le place aux sources du Nil : le Prêtre Jean tend à s'identifier à l'empereur d'Éthiopie, personnage bien connu des Latins qui voudraient obtenir son aide contre le sultan d'Égypte. Les premiers Occidentaux à atteindre le Niger, vers 1440, considèrent son royaume comme accessible en faisant le tour de l'Afrique par le Sud, ce qui encourage les Portugais à tenter la circumnavigation du continent africain ; celle-ci permet enfin aux Occidentaux d'atteindre le pays du Prêtre Jean, à temps pour aider les Éthiopiens à résister à la conquête musulmane. Le nom du Prêtre Jean commence alors à ne plus être employé que par les littérateurs, et à être abandonné par les géographes et par les narrateurs.
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Écrit par
- Jean RICHARD : doyen de la faculté des lettres et sciences humaines de Dijon
Classification
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