PREUVE, épistémologie
Dispositifs de la preuve
La proposition et le fait empirique semblent être sans mesure commune. Aussi le bien-fondé principiel des descriptions doit-il être cherché dans un troisième terme, par exemple les formes a priori de la sensibilité et l'armature catégoriale selon la Critique de la raison pure. Il en va de même de la certification proprement dite, l'observation et l'expérimentation jouant ce rôle de tertium dans les sciences empiriques. Elles sont censées « exhiber » (ou non) la correspondance, moyennant la vérification, dans le fait, du comportement prévu par la proposition. L'explication serait alors une implication dans le donné qu'elle décrit.
Les difficultés propres à la vérification dépendent en partie du problème plus général du rapport entre proposition et monde. Ainsi, l'exigence d'une base empirique formée par des éléments ultimes, « atomiques », des vécus immédiats (ou « protocoles », suivant la terminologie de Rudolf Carnap) et s'imposant à l'observateur sans aucun élément d'inférence témoigne du danger d'une projection des langages et des théories sur les faits. S'il en était ainsi, les dispositifs apparemment objectifs pourraient se révéler être des constructa et la preuve se trouver donnée d'avance ou, tout au moins, pré-déterminée dans toutes les modalités qu'elle revêt.
Ces questions, on le sait, sont au centre des débats du Cercle de Vienne. Dans la doctrine des énoncés protocolaires de Carnap, Otto Neurath a pu dénoncer le mythe de la tabula rasa. En réalité, les propositions scientifiques se produisent à l'intérieur d'une histoire qui en modifie continuellement le sens. Pouvant à chaque moment être révoquées ou remplacées, la validité de chacune s'évaluera non pas par son adéquation à un donné ultime introuvable, mais par sa compatibilité avec d'autres propositions (une proposition ne saurait être comparée qu'à des propositions), dans le cadre d'un langage unitaire. Aussi le critère dernier de la validité résiderait dans la cohérence de l'ensemble et, face à un protocole qui s'oppose à un ensemble de lois ou à d'autres protocoles, le scientifique devra décider s'il faut rejeter le protocole « déviant » ou le corpus des protocoles existants. Toutefois, en l'absence de règles spécifiques de l'acceptation et du rejet des propositions, cette doctrine semble condamnée à déboucher sur un conventionnalisme de fait. Telle fut l'objection de Popper (op. cit., pp. 95-97) : « Neurath évite une forme de dogmatisme, mais il prépare le chemin pour n'importe quel système arbitraire qui décide de se poser comme une science empirique. » Le scepticisme de l'épistémologie post-positiviste se profile ainsi à l'horizon.
La théorie positiviste de la preuve stricto sensu témoigne des mêmes embarras, également paradigmatiques. Les « énoncés atomiques purs » sont aussi l'assise de la certitude de la preuve. Dans son grand essai intitulé Testability and Meaning, Carnap a énoncé les principes d'une « méthodologie empirique » qui s'institue sur une règle de réductibilité des propositions à des « termes primitifs », « observables » et « réalisables » (in H. Feigl et M. Brodbeck dir., Readings in the Philosophy of Science, pp. 63-65, New York, 1953 ; la première édition est de 1936-1937). « Tous les prédicats primitifs doivent être observables » (op. cit., p. 81) et, moyennant « quelques observations », il sera toujours loisible – complètement ou partiellement, la différence est de degré – de se prononcer avec certitude sur l'existence ou la non-existence d'un état de choses extérieur à la description linguistique : « Par exemple, le prédicat rouge est observable pour une personne possédant[...]
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Écrit par
- Fernando GIL : docteur en philosophie, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
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