PREUVE, sciences
On prouve pour établir la vérité. La preuve est ce qui convainc la personne à laquelle elle s'adresse dès lors que celle-ci la comprend. Elle a son origine dans le droit, s'illustre en philosophie et en théologie, s'affirme dans la pensée scientifique. Quiconque est amené à donner des gages de son dire, et n'est plus cru sur parole, est porté à prouver ses assertions. À la fin du xixe siècle, l'école laïque s'affiche comme école de la preuve : la craie est blanche comme chacun peut le constater, l'eau chauffée se met à bouillir comme chacun peut en faire l'expérience, la somme des angles d'un triangle vaut deux angles droits pour quiconque comprend la démonstration. La parole du maître, parce qu'elle livre ses preuves, émancipe des autorités les élèves attentifs en les faisant accéder à la science.
Connaissance et preuve vont de pair. D'un énoncé on dira en effet qu'il constitue une connaissance d'un aspect de la réalité dès lors qu'il est vrai, accepté et justifié. Ce qui est prouvé est une connaissance, ce qui se donne pour connaissance doit être prouvé. Un énoncé sera prouvé si ses destinataires sont convaincus de sa vérité par la justification qui en est donnée. Penser la notion de preuve, c'est définir les conditions à réunir pour qu'un énoncé vaille à titre de connaissance. Ces conditions varient selon les domaines du savoir, les sources des connaissances, les modes de dérivation de la vérité à partir des sources. On prouve par des arguments cohérents, des démonstrations, des vérifications. En ce sens, l'effort pour prouver désigne l'ensemble des aspects méthodologiques des sciences, et l'évaluation de ces tentatives pour être probant est au centre des questions épistémologiques.
Au début d'un de ses livres, Le Rationalisme appliqué (1949), Gaston Bachelard rapporte le propos d'un professeur de l'École polytechnique qui voulait faire comprendre au roi Charles X, alors en visite, que l'hyperboloïde à une nappe dont le modèle avait attiré son attention était engendrée par une ligne droite. Après plusieurs tentatives infructueuses, désespéré, il déclara : « Eh ! bien, Sire, je vous en donne ma parole d'honneur. » Cet échec montre assez que le sujet doit constituer la preuve pour l'accepter. La comprendre, c'est toujours la reconstituer. Suivre une démonstration, c'est la faire, en établir les relations internes. La preuve prouve par l'évidente nécessité des enchaînements, aussi le modèle de la preuve est-il celui de la démonstration. C'est pourquoi le recours à l'expérience s'inscrit dans ce que Claude Bernard nommait le raisonnement expérimental, laissant ainsi entendre que la conformité d'une observation provoquée à la prédiction fondée sur une hypothèse valait à titre de preuve de celle-ci. Qu'une observation puisse ou non confirmer ou réfuter une hypothèse est une question trop débattue pour être tranchée ici. Reste que la volonté de prouver s'étaye sur le modèle d'intelligibilité qu'apportent les mathématiques.
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Écrit par
- Jean-Paul THOMAS : philosophe, professeur des Universités
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