PRIÈRE ET CONTEMPLATION
La prière n'est pas séparable de la totalité de l'expérience religieuse. Elle est le « verbe » qui donne forme articulée au commerce d'abord indicible avec le divin ou le sacré. Verbe qui s'organise selon la cohérence des diverses croyances. Verbe qui accompagne souvent d'autres activités religieuses : offrandes et sacrifices, oracles, rites divers, jeûne. Mais précisément parce qu'elle est verbe, c'est-à-dire expression ordonnée et langage d'un être aux prises avec son destin, elle est la plus représentative des manifestations de la relation de l'homme avec une transcendance. Envisagée dans une perspective phénoménologique, la prière apparaît comme naissant d'un besoin qui pousse au recours. La croyance va préciser le recours possible et armer la prière de ses invocations, de ses arguments, bref de son langage. Grâce à elle, le besoin brut se structure en désir digne d'être présenté aux dieux.
Le recours
Devant un danger imminent, dans une souffrance aiguë, un cri de prière peut jaillir de n'importe quelles lèvres humaines. C'est à peine une prière, c'est le recours à l'état pur : si quelque puissance écoute et peut quelque chose pour moi ! Jailli du sentiment de pure détresse, un tel cri est à peine articulé, et celui qui l'a lancé se reprend souvent, honteux d'avoir cédé à ce qu'il juge une faiblesse.
Par là se trouve posé le problème humain du besoin. L'homme est un être de besoins. Enfant, il n'est que cela. Adulte, que ce soit comme individu ou comme groupe, il a pris la mesure des besoins permanents à la satisfaction desquels il doit se consacrer sans trêve. Il lui faut bien les avouer et évaluer ses impuissances. Mais il doit aussi échapper à la tentation de la crainte excessive, de la démission, de la régression infantile, sans quoi c'en est fait de lui dans la lutte pour l'existence.
Surgissement de la prière
Dès ses états archaïques, la prière représente une solution à ce problème. La prière : non plus le cri, mais la décision d'avoir recours à des puissances supérieures par une parole où, avouant sa dépendance, l'homme affirme paradoxalement sa dignité et son pouvoir. Car, pour le primitif, la parole qui implore est puissante à sa manière (on le voit, à l'extrême, dans la magie). Ainsi, détenir le nom d'un dieu, c'était l'obliger à répondre à l'appel qu'on en faisait. La prière : ruse de l'homme pour, dans son impuissance, maintenir la conscience de son pouvoir, concession d'une dépendance à l'égard de forces obscures, mais dans la dignité d'un être qui a le secret de la parole.
On ne s'étonnera donc pas que la prière archaïque ait été, la plupart du temps, minutieusement organisée. Des prières étaient prévues pour toutes les situations d'insécurité. Ainsi l'Africain a-t-il un registre de prières pour la naissance, la puberté, le mariage et la mort ; car, en ces quatre seuils de l'existence, il y a lieu de conjurer l'inquiétude et les incertitudes de l'avenir. Mais, outre ces temps forts, une foule de situations délicates ont chacune sa prière : besoin de pluie pour les récoltes, de gibier pour la chasse, de fécondité pour les troupeaux, danger de guerre. La prière a une fonction conjuratrice, rassurante, incantatoire, autant qu'une prétention opératoire ; et c'est ce qui en fait la somptueuse variété, ce qui lui confère la qualité poétique et humaine qui touche encore l'homme d'aujourd'hui. Fort de sa prière, le primitif avance avec tranquillité dans un univers où trop de facteurs échappent tant à sa raison qu'à sa maîtrise. On appellera « besoins de subsistance » ces besoins nés du manque, de la détresse, des nécessités concrètes. L'homme est encore en proie à d'autres types de besoins, qu'on pourrait appeler « besoins de sens » :[...]
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Écrit par
- Albert-Marie BESNARD : professeur de théologie aux facultés dominicaines du Saulchoir
Classification
Média
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