Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

PRIÈRE ET CONTEMPLATION

Le rôle de la croyance

On se ferait une idée caricaturale de la prière si on n'y voyait que l'expression d'un besoin signifié et transmis à une instance supérieure à fin d'exaucement. Le besoin incite au recours, mais le recours va être lui-même conditionné par le type de relation qui unit l'orant et son dieu. C'est la croyance qui encourage, justifie et structure le recours.

Une question capitale se pose : n'est-il pas essentiel à la prière que son terme transcendant soit conçu comme personnalisé ? Une puissance impersonnelle peut être crainte, célébrée, conjurée ; mais peut-elle être priée ? Pour interpréter correctement tant l'expérience que les croyances, il convient, en fait, d'accepter une certaine ambivalence.

La mentalité primitive, remarque Mircea Eliade, ne raisonne pas dans la perspective distinguant personnel et impersonnel, mais « en termes ontologiques : ce qui existe, ce qui est réel d'une part ; et ce qui n'existe pas d'autre part ». La plupart des primitifs ont perçu deux degrés dans le sacré : d'une part, ils ont reconnu, à travers les hiérophanies ouraniennes (dont le support sensible est la voûte céleste), l'existence « d'un Être divin céleste, créateur de l'univers et garant de la fécondité de la terre » ; d'autre part, ils ont eu tendance à laisser tomber dans l'oubli cet Être conçu comme personnel mais lointain, pour accorder leur attention à des formes inférieures, telluriques, du sacré (génies, démons, esprits, divinités locales). À ce dernier niveau, c'est l'animisme qui prévaut sans que soit réellement posée la question de la nature personnelle ou impersonnelle des forces avec lesquelles on entre en relation.

Les grandes religions ont sur ce point des croyances plus fermes mais non dénuées de nuances. Si l'on considère l' hindouisme, par exemple, on ne sera pas peu surpris de voir les interprétations demeurer hésitantes. Les manifestations du brahman (ou réalité suprême) dans la nature sont infiniment variées et il est légitime de les vénérer sous une foule de formes personnalisées ; celles-ci ne contredisent pourtant pas l'impassible impersonnalité du brahman, car plus fondamentale que toute représentation du divin est la croyance que l'univers sensible, avec sa contingence et sa multiplicité, n'est qu'une succession de formes se résorbant toujours dans l'unité primordiale. Selon une autre façon de voir, la relation personnelle que noue le fidèle à l'égard de l'une ou l'autre divinité majeure se nourrit de la croyance ferme dans le caractère personnel du dieu. Ainsi Toukârâm chanta-t-il Vishnu incarné en Krishna : « Toi, mon Dieu, tu es ma mère, mon père, mon trésor, ma famille, mon tout. Tu es celui qui façonne mon bonheur, ô Dieu ! »

Prières à Shwedagon Paya, Rangoun - crédits : Marco di Lauro/ Getty Images News/ AFP

Prières à Shwedagon Paya, Rangoun

Le bouddhisme, né, au ve siècle avant l'ère chrétienne, d'une réaction contre la prolifération des divinités dans l'hindouisme populaire, se désintéresse de la nature métaphysique de la réalité ultime. À son sujet, les avis sont encore partagés : on l'a longtemps considéré comme un athéisme, puisqu'aucun dieu n'y est proprement invoqué ni conçu. On tend aujourd'hui à reconnaître que les choses ne sont pas si simples. Ce qui est certain, c'est qu'en dehors des prières adressées au bouddha lui-même, plus ou moins divinisé dans la suite des temps, ou aux bodhisattvas dans le Grand Véhicule, l'exercice orant principal du bouddhisme est la méditation, qui n'est nullement méditation sur les œuvres ou les attributs d'une divinité, mais réalisation du vide intérieur, prélude à l'illumination (dans le zen, par exemple), ou concentration de l'esprit pour obtenir la suppression de la souffrance.

Les religions révélées, judaïsme[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Média

Prières à Shwedagon Paya, Rangoun - crédits : Marco di Lauro/ Getty Images News/ AFP

Prières à Shwedagon Paya, Rangoun

Autres références

  • ĀŚRAM ou ASHRAM

    • Écrit par
    • 1 737 mots
    ...disciples. L'écrivain Ved Mehta, qui n'est pas gandhien, décrit, trente ans après la mort du fondateur, la vie de l'āśram de Sevagram, près de Wardha : on y mène une vie de prière, d'ascèse et de travail. Du coup de gong du réveil, à 4 heures du matin, jusqu'à l'extinction des feux à 9 h 30 du soir, chacun...
  • BREMOND HENRI (1865-1933)

    • Écrit par
    • 2 121 mots
    ...départ, aussi, l'enquête historique est animée par l'intention d'en dégager une philosophie : « le côté littéraire » n'est pour lui « qu'une amorce » ; si l'oraison mystique est « union silencieuse avec Dieu », il a l'ambition de « découvrir partout » ce phénomène, « (à l'état d'ébauche, d'étincelle rapide),...
  • CARMEL

    • Écrit par
    • 1 539 mots
    ...de leur père Élie, dont il est dit : « Alors le prophète Élie se leva comme un feu / Sa parole brûlait comme une torche » (Siracide, xlviii, 1). Ainsi la vocation carmélitaine consiste à provoquer une orientation affective et à la maintenir par la prière dans le cœur des hommes. Mis à part quelques monastères,...
  • CATHOLICISME - La crise postconciliaire

    • Écrit par
    • 5 653 mots
    La prière devient un phénomène bruyant. Les « charismatiques » envahissent les stades, occupent les mass media et s'acquièrent même, lentement mais sûrement, la sympathie d'autorités heureuses de voir se remplir les églises désertées. Là encore, tout comme le sphinx, les chiffres sont « parlants » mais...
  • Afficher les 25 références