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PRIÈRE ET CONTEMPLATION

L'affinement du désir

La croyance offre au recours issu du besoin un langage, ne serait-ce que la seule invocation de la divinité, mais rares sont les invocations qui n'incluent déjà une théologie ou toute une conception de l'homme. Mieux informé aujourd'hui des fonctions du langage, on sait que le langage de la prière n'est pas du type informatif (faire savoir quelque chose à quelqu'un), mais évocatif, communicatif, exclamatif. La demande « qui offre l'homme à la bienveillance d'autrui [...] invoque Dieu dans la langue du chœur de la tragédie grecque, dans celle du psaume hébraïque, dans celle des liturgies chrétiennes, dans celle, toute proche du quotidien, de la prière spontanée du croyant. La parole qui prie est par excellence la langue de l'exclamation. Le cri a été relayé par le chant » (P. Ricœur).

Effectivement, aussi fruste soit-il, le langage de la prière est une victoire sur le mutisme ou sur le cri inarticulé du besoin brut. Le cri est relayé par le chant, et le besoin par le désir. La croyance inspire, éduque une configuration originale des dispositions affectives fondamentales comme de la volonté, qui permet à l'orant de ressaisir « l'expression quotidienne de la douleur et de la joie, de la colère et de la peur, pour l'élever au niveau lyrique d'une expression purifiée » (P. Ricœur), et en meilleur accord avec la perfection du Dieu invoqué.

Ce ressaisissement des préoccupations, soucis, désirs, ne se traduit pas seulement par la qualité de l'expression, mais aussi par celle de l'intériorisation qui lui est nécessairement liée. La prière conduit l'homme à habiter ses propres profondeurs, à se retremper non dans son moi narcissique mais dans son « cœur ». On admirera ce « conseil pour bien prier au temple du sage Ani » (Égypte ancienne), dont on trouve des équivalences dans toutes les religions : « La maison de Dieu a les cris en horreur. Prie pour toi avec les désirs de ton cœur, dont toutes les paroles sont cachées ; alors Dieu fera ce que tu désires, alors il t'exaucera. »

Dans toutes les religions également, les liturgies ont joué le rôle de matrice exemplaire de la prière. Conformes à la pureté de la croyance comme au génie expressif d'une communauté humaine, elles instruisent (en tous les sens du mot) les fidèles et, en leur proposant un langage et des modèles de prière, orientent leur piété personnelle.

Bien entendu, cet affinement du désir n'est pas l'œuvre des propriétés formelles d'un langage. En toutes les religions, chacun sait qu'une prière qui se réduit à son formalisme verbal n'est plus prière, et ce n'est pas parce qu'on a composé un discours au vocatif émaillé de quelques « mon Dieu » qu'on a accru le trésor réel de la prière ! Ce qui compte, c'est l'affrontement mystérieux avec l'Autre, qui s'opère dans le champ ouvert du langage invocatif. Le Christ a vécu le modèle et le paroxysme de cet affrontement dans sa prière à Gethsémani : son « agonie », son combat, consistait à se mettre tout entier en accord avec la volonté reconnue et aimée de son Père. Pour le chrétien, cette prière du Fils est la prière parfaite et, sous les multiples formes que revêt sa prière, il sait qu'il ne prie vraiment que lorsque son désir rejoint la volonté de son Père céleste, volonté qui n'est pas pour lui énigme celée, mais dont il déchiffre les lignes de force dans la Révélation.

Pour l'hindou ou le bouddhiste, le combat se situe par rapport aux tentations que présente ce monde de karma et d'illusion. Le désir se structure dans celui de la délivrance du moi pour rejoindre la béatitude du brahman ou le nirvāṇa, tout comme il se structure pour le musulman dans celui de la soumission au Très-Haut.

Une grave question, cependant,[...]

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Prières à Shwedagon Paya, Rangoun - crédits : Marco di Lauro/ Getty Images News/ AFP

Prières à Shwedagon Paya, Rangoun

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