PRIMAUTÉ DU DROIT DE L'UNION EUROPÉENNE
La réaction de la Cour de justice de l’Union européenne aux résistances des juridictions nationales
Face à ces remises en cause du caractère absolu du principe de primauté du droit de l’Union, la Cour de justice de l’Union européenne semble avoir adopté deux stratégies, une d’apaisement ou de conciliation, l’autre plus offensive.
La recherche de conciliation par la neutralisation du principe de primauté
La stratégie de conciliation de la Cour de justice de l’Union européenne se traduit par l’évitement du recours au principe de primauté, celui-ci étant potentiellement conflictuel. Cette stratégie a pu prendre deux formes distinctes : d’une part le recours à l’interprétation conforme et d’autre part la négation du conflit normatif.
La technique de l’interprétation conforme est le fait, pour une juridiction confrontée à plusieurs interprétations possibles d’un texte, de choisir celle qui est la plus conforme à la norme supérieure (ici au droit de l’Union). Cette technique est parfois utilisée par la Cour de justice pour réduire la contradiction apparente entre deux normes issues des deux ordres juridiques (national et européen) en conciliant, lorsque cela est possible, leur contenu matériel. Ainsi, dans l’arrêt Melki et Abdeli du 22 juin 2010, la Cour de justice a validé le mécanisme de la « question prioritaire de constitutionnalité » (QPC) introduit dans la Constitution de la Ve République en 2010 (réforme constitutionnelle de 2008). Sa compatibilité avec le droit de l’Union européenne avait en effet été soulevée par la Cour de cassation française. Dans cet arrêt de 2010, la Cour de justice se fonde sur une interprétation conciliatrice – suggérée par le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État français – pour énoncer des réserves interprétatives permettant d’assurer la compatibilité du mécanisme français avec le droit de l’Union.
Quand elle opte pour la négation du conflit normatif, la Cour de justice choisit de nier l’existence d’un conflit entre les normes de droit internes (droits nationaux) et les normes européennes. Cela la dispense d’avoir recours au principe de primauté pour le résoudre. La Cour de justice a très tôt recouru à cette solution. Ainsi, dans l’arrêt Internationale Handelsgesellschaft de 1970 déjà cité, elle avait jugé que « l’invocation d’atteintes aux droits fondamentaux tels qu’ils sont formulés par la Constitution d’un État membre ou aux principes de sa structure constitutionnelle ne saurait affecter la validité d’un acte de la Communauté ». Cependant, elle s’était empressée d’ajouter que les droits fondamentaux font « partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour de justice assure le respect ». Autrement dit, tout en déniant aux États membres la possibilité d’invoquer leur Constitution pour faire échec à une règle de droit communautaire, la Cour de justice avait accepté de recevoir les valeurs constitutionnelles fondamentales dans l’ordre juridique communautaire. La Cour de justice voulait ainsi désamorcer les potentialités conflictuelles du principe de primauté, qui ne s’applique que lorsque deux ordres juridiques distincts sont en cause.
La Cour de justice a ensuite tenté de réutiliser cette tactique en reprenant les réserves fondées sur la protection de l’identité constitutionnelle des États – à travers la clause de respect de « l’identité nationale des États membres » figurant à l’article 4, paragraphe 2 du traité sur l’Union européenne (TUE). Cette tactique est cependant difficile à dupliquer puisque, à la différence des droits fondamentaux qui sont des valeurs communes à tous les États membres, l’identité constitutionnelle est par nature spécifique à chacun d’entre eux. Cela rend inévitablement plus complexe la protection de celle-ci dans le cadre de l’ordre juridique de l’Union. En particulier, la notion d’« identité[...]
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Écrit par
- Gaelle MARTI : professeure de droit public, titulaire de la chaire européenne Jean Monnet, directrice du Centre d’études européennes, université Jean Moulin Lyon 3
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