PRINCIPE DE PRÉCAUTION
Le principe de précaution est une notion qui a d'abord été développée en matière d'environnement. Les dernières décennies du xxe siècle ont, en effet, été traversées par une prise de conscience accrue de la fragilité de la biosphère face à l'activité humaine et par une interrogation sur la capacité de la génération actuelle à mettre en œuvre un développement « durable » (sustainable).
Qu'il s'agisse de ressources naturelles non renouvelables ou de dégradation des milieux par des pollutions, le débat est désormais structuré autour de quatre questions clés :
– le caractère multidimensionnel des problèmes, qui ne permet plus de distinguer la sphère sociale de la sphère naturelle et s'inscrit dans le phénomène général de globalisation des responsabilités ;
– le souci de répartir avec équité le bien-être entre les individus actuels mais aussi, ce qui est plus difficile encore, sans pénaliser les générations futures ;
– le caractère parfois irréversible des conséquences de comportements ou de choix actuels ;
– l'incertitude sur la capacité des actions présentes à transformer les dynamiques en cours, mais aussi sur les besoins et les préférences des générations futures.
Ces quatre aspects sont au fondement du principe de précaution : même si le pire n'est pas certain (incertitude), la possibilité d'un risque majeur (irréversibilité) guide cette démarche.
Formulé pour la première fois en droit international dans la Déclaration de Londres de novembre 1987 lors de la deuxième Conférence sur la mer du Nord, le principe de précaution a été utilisé ensuite à différentes reprises, notamment dans la Déclaration de Rio (Sommet de la Terre, 1992), et dans le traité de l'Union européenne (Maastricht, 1992). Il est à la base des conventions internationales visant notamment à limiter l'effet de serre, à réduire le trou dans la couche d'ozone et à lutter contre le changement climatique. En France, il est devenu un principe constitutionnel en 2005.
La notion a été étendue à d'autres domaines à l'interface de la science et de la société tels que la santé publique, la sécurité des aliments, les biotechnologies et les nanotechnologies. Elle est aussi l'objet de nombreuses controverses, certains y voyant un obstacle au progrès scientifique. Cette idée donne également lieu à beaucoup de confusion notamment dans les discours politique et médiatique. L'analyse qui suit restitue le sens et l'originalité de la démarche de précaution.
Maîtriser les menaces et les risques
L'idée de précaution peut être présentée sous forme d'adage : « Dans le doute sur l'existence et la portée d'effets potentiellement négatifs, sur l'homme ou l'environnement, d'un produit ou d'une activité, ne t'abstiens surtout pas. Engage au contraire une démarche d'évaluation du danger et de recherche des moyens de le maîtriser. » La précaution est une incitation à l'action dans un contexte d'incertitude. Elle a fait évoluer la notion de responsabilité, des acteurs économiques comme des régulateurs publics. Elle concerne les situations dans lesquelles l'absence de connaissance scientifique et technique préalable, à un moment donné, interdit le recours aux mesures habituelles de prévention et de gestion des risques. Mais l'absence de savoirs constitués n'est pas un obstacle majeur à toute action. Au contraire, la démarche de précaution incite à la mobilisation, par l'adoption de mesures limitant les dangers immédiats et incitant à leur analyse. Le but est de limiter, dans la mesure du possible, l'impact des menaces émergentes, mais aussi de comprendre leurs facteurs de diffusion et leurs éventuelles conséquences. Il s'agit donc de rationaliser un danger suspecté pour, s'il est avéré,[...]
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Écrit par
- Pierre LASCOUMES : directeur de recherche émérite au CNRS, Centre d'études européennes, Sciences Po
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