PRINCIPE DE PRÉCAUTION
Cadrer l'activité de précaution
Contrairement à ce que prétendent les adversaires de la précaution, cette démarche ne conduit pas à l'entrée de l'irrationnel dans la décision. Il s'agit au contraire d'une activité cadrée comme l'énoncent les deux définitions de référence que voici :
– La première a été établie par la Commission européenne (consommation, santé) en 1998 : « Le principe de précaution est une approche de gestion des risques qui s'exerce dans une situation d'incertitude scientifique. Il se traduit par une exigence d'action face à un risque potentiellement grave sans attendre les résultats de la recherche scientifique. »
– La seconde définition figure dans la Charte de l'environnement française, devenue un principe constitutionnel en 2005 (article 5) : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. »
On le voit, la précaution n'est pas un fourre-tout, mais une démarche très cadrée. Tout d’abord, elle présuppose une situation d'incertitude, où des perceptions et des intérêts divergents s'affrontent, entre lesquels le flou des connaissances et l'ignorance de l'ampleur du danger ne permettent pas de trancher. Ensuite, l’entrée en précaution suppose la possibilité d'un risque grave ou « potentiellement grave » (voir première définition), d'un dommage « grave et irréversible » (voir seconde définition). La terminologie employée et, parfois, sa redondance indiquent la volonté de limiter les activités de précaution aux situations les plus menaçantes (atteinte à la vie humaine, destruction irréversible d'un bien naturel). Un autre élément de cadrage concerne le caractère plus ou moins contraignant de l'entrée en précaution. Certaines formulations sont indicatives : « les autorités publiques veillent […] à la mise en œuvre de procédures » (voir seconde définition). D'autres sont plus fermes et parlent « d'exigence d'action » (voir première définition). La précaution n'est plus alors optionnelle, elle devient impérative. Enfin, un dernier élément de cadrage porte sur l'étendue des mesures à adopter. Les propositions varient en fonction de l'intensité de l'action qui est attendue. Si le texte de la Commission européenne n'introduit aucune indication, laissant le champ largement ouvert à l'appréciation des autorités publiques, la formulation française parle « de mesures provisoires et proportionnées ». En France, une définition plus ancienne (loi du 2 février 1995, article 200-1 du Code rural définissant les principes généraux du droit de l'environnement) retenait aussi un critère d'acceptabilité économique. Celui-ci est aujourd'hui écarté.
Ces différentes limites montrent que la précaution ne peut être invoquée à tout propos, mais dans des situations précises et le plus souvent exceptionnelles. Elles ont deux objectifs principaux. D'une part, il s'agit de guider les choix des acteurs politiques et économiques dans l'ajustement d'intérêts divergents, en particulier la liberté d'entreprendre, avec la protection de l'environnement et de la santé humaine. D'autre part, ces cadrages veulent anticiper certains abus, en particulier l'usage discrétionnaire qui pourrait être fait de la précaution dans les échanges internationaux au profit de mesures protectionnistes. Un travail de cadrage équivalent reste à faire en matière de santé publique[...]
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Écrit par
- Pierre LASCOUMES : directeur de recherche émérite au CNRS, Centre d'études européennes, Sciences Po
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