NATIONALITÉS PRINCIPE DES
La guerre de 1870 et les deux guerres mondiales
Cette doctrine fut appliquée systématiquement par Bismarck durant la guerre de 1870, qui vit les deux conceptions du principe des nationalités s'affronter à propos de l'Alsace-Lorraine. H. von Treitschke déclarait encore en août 1871 : « Nous Allemands, qui connaissons la France et l'Allemagne, nous savons ce qui convient aux Alsaciens-Lorrains mieux que ces malheureux eux-mêmes [...]. Nous voulons contre leur volonté leur rendre leur être propre. » À cette théorie de la nationalité inconsciente répondait la protestation des députés d'Alsace-Lorraine : « Nous proclamons par les présentes à jamais inviolable le droit des Alsaciens et des Lorrains de rester membres de la nation française. »
Après 1870, le problème des nations se posait moins que celui des minorités nationales qui, dans la plupart des grands États européens, entretenaient une agitation permanente. Ce sont ces minorités qui invoquaient alors le principe des nationalités. Et les discussions portèrent désormais sur le problème de savoir comment déterminer, parmi les groupes humains, ceux qui ont le droit au titre de nation. Et Tomáš Mazaryk, dans son livre Le Problème des petites nations, formulait ainsi les conditions dans lesquelles pouvait s'appliquer le principe des nationalités : « Pour qu'une nation ait le droit d'exister, il suffit mais il est nécessaire qu'elle le veuille et qu'elle prouve sa volonté par ses progrès économiques et généraux, par ses protestations et ses efforts. »
Pendant la Première Guerre mondiale, le principe des nationalités fut sans cesse utilisé par les deux adversaires comme une arme de propagande ; les États de l'Entente, réticents tant que la Russie était tzariste, donnèrent leur appui, après mars 1917, aux « comités nationaux » formés par les émigrés tchèques, serbes, croates et polonais. De leur côté, dès 1916, les puissances centrales essayèrent d'encourager l'agitation nationaliste irlandaise contre la Grande-Bretagne, les nationalismes balte et finlandais contre la Russie. Et surtout la publication des quatorze points de Wilson et leur acceptation par les vainqueurs semblèrent consacrer le triomphe du principe des nationalités. Au nom de celui-ci, l'Europe fut réorganisée par le traité de Versailles. Mais l'enchevêtrement des peuples dans beaucoup de régions, les égoïsmes nationaux, firent que des minorités nationales subsistèrent un peu partout. Une nouvelle fois le principe des nationalités devint un instrument d'agitation politique. Dès 1920, le programme du parti national-socialiste l'invoquait pour exiger « la réunion de tous les Allemands dans une grande Allemagne » et la Troisième Internationale l'utilisait dès le congrès de Bakou pour inciter les peuples coloniaux à la révolte.
Plus tard, en 1938, Hitler utilisa le principe des nationalités pour détruire l'Europe de Versailles : c'est en son nom qu'il organisa l'Anschluss ; c'est en l'invoquant qu'il suscita l'agitation des Allemands des Sudètes. Anglais et Français, pris à leur propre piège, n'osèrent pas s'y opposer durant la crise de Munich. Dès lors, Hongrois, Roumains et Polonais participèrent au dépeçage de la Tchécoslovaquie en invoquant le droit des minorités. Finalement, en septembre 1939, l'attaque conjointe de l'Allemagne et de l'Union soviétique contre la Pologne montrait qu'il n'était plus question du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. L'Allemagne victorieuse réorganisa l'Europe à sa guise suivant ses propres intérêts et ses conceptions dominatrices et racistes.
Pour rallier les peuples opprimés à leur cause, les démocraties en guerre réaffirmèrent le principe des nationalités. Après leur rencontre en août 1941 au[...]
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Écrit par
- André THÉPOT : professeur des Universités
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