PRINTEMPS ARABE ou RÉVOLUTIONS ARABES
Des mobilisations sociales massives
L'irruption des sociétés comme acteurs dans l'espace public est un élément majeur du printemps arabe. Dans des systèmes autoritaires, où les institutions ne sont pas pluralistes mais strictement contrôlées par le régime en place, on assiste paradoxalement à une forme de « pluralisation par le bas » ou de « pluralisme par défaut ». Une fermentation latente appuyée sur une masse critique de jeunes générations existe dans chacun des États arabes à des degrés divers ; mais c'est en Tunisie (blogs) et en Égypte (blogs, presse, associations) que le pluralisme par le bas est le plus fort. Il existe également, de manière très différente, au Yémen, un pays considéré comme plus rural et moins développé, mais où, depuis la réunification (1990) et après la guerre civile (1994), une société civile s'appuie sur les jeunes générations et sur les mécanismes tribaux-familiaux (qui servent de fondement à des associations, O.N.G., organisations caritatives...). Cet activisme social diffus se cristallise en 2011 dans des mouvements massifs.
Des mobilisations d'un nouveau type
Les mobilisations de 2011 présentent des caractéristiques nouvelles : elles sont massives, apolitiques (elles ne sont pas dirigées contre les États-Unis, contre Israël, ne sont ni en faveur de l'islam politique ni d'une autre cause, mais se fédèrent autour d'une revendication générique de liberté), non idéologiques (les mouvements politiques sont au départ peu présents, même si leurs membres y participent à titre individuel, comme c'est le cas pour les jeunes Frères musulmans en Égypte, qui manifestent malgré les recommandations de la confrérie), non sectorielles, pacifiques (le slogan selmiyye, selmiyye [« pacifiquement »] des manifestants désarmés qui affrontent des tirs à balles réelles de la police) et sans leadership bien identifié. Les jeunes Égyptiens, par exemple, ont fait ce choix pour ne pas donner prise à la répression, ou créer un chef qui reproduirait le modèle du zaïm ou du raïs qu'ils contestent ; en Libye, le manque de cadres dirigeants dans la rébellion contre le régime de K̄adh̄afi est patent, mais il est le reflet d'un pays où peu d'élites ont été formées – une autre façon pour le pouvoir de limiter le potentiel de contestation.
Ces régimes ont par le passé appris à réprimer des émeutes (émeutes de la faim par exemple, au Caire en 1977, en Tunisie en 1983-1984, en Jordanie en 1989, au Maroc en 1981 et 1984...), des insurrections armées importantes (islamistes en Égypte dans les années 1990) ; ils savent « traiter » les contestations sectorielles en laissant pourrir la situation par épuisement des protagonistes, par la répression ou en faisant quelques concessions dilatoires. Mais, en 2011, ils se trouvent face à des mouvements massifs d'un type nouveau. Ni le déploiement d'un grand nombre de policiers antiémeutes, ni même la répression violente n'entament la détermination des manifestants qui occupent des lieux symboliques comme la place Tahrir au Caire, la place de la Perle à Manama (Bahreïn) ou la place du Changement à Sanaa (Yémen). Comment une telle mobilisation a-t-elle été possible et comment a-t-elle pu prendre cette ampleur ?
Les motivations socio-économiques et leur traduction politique
L'ampleur de la mobilisation s'explique en partie par la capacité des sociétés à se mobiliser autour d'une revendication générique et fédératrice, symbolisée par la reprise de slogans simples, tels que « dégage » (irhal, également prononcé en français à la suite de l'exemple tunisien) pour demander le départ des pouvoirs en place ou « pain, dignité, humanité, liberté » (esh, karama, insaniyya, huriyya). Les problèmes socio-économiques sont fondamentaux pour des populations qui souffrent au quotidien[...]
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Écrit par
- Philippe DROZ-VINCENT : professeur des Universités en science politique
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