PRINTEMPS ARABE ou RÉVOLUTIONS ARABES
La résistance des pouvoirs en place
L'ébranlement provoqué par ces modes inédits de mobilisation est profond, car ce n'est pas un régime en particulier qui subit le choc de la contestation, mais c'est un mode de gouvernement, l'autoritarisme dans le monde arabe, qui est remis en cause par les sociétés. Après le précédent tunisien et, surtout, avec l'ancrage de la contestation sur la place Tahrir au Caire, tous les régimes touchés tentent de désamorcer la contestation. Certains essaient de faire des concessions afin d'« acheter » les contestataires, en distribuant de l'argent ou, de façon symbolique, en promettant des réformes.
Désamorcer la contestation par des concessions
Ces stratégies de concessions permettent d'affaiblir le mouvement de mobilisation, quand les régimes parviennent à éviter l'affrontement direct et à gérer la contestation en jouant sur certaines de ses causes profondes.
D'un côté, des États, comme dans le Golfe, disposent de forts excédents budgétaires et se caractérisent par une étroitesse de la population autochtone liée au régime par des réseaux de patronage (pour l'accès à l'emploi public réservé aux nationaux) et par une forte majorité de la population active immigrée voire non arabe. Les plus touchés par la contestation dans cette région sont Oman, Bahreïn et l'Arabie Saoudite qui, malgré leur richesse, ont connu des difficultés économiques conduisant à réduire les bénéfices de l'État-providence (avec l'apparition de graves problèmes de chômage). À Oman, où des manifestations de chômeurs en février 2011 font des morts dans la deuxième ville du pays, le pouvoir en place augmente les subventions aux produits de première nécessité, les salaires et les pensions de retraite, distribue 390 dollars à chaque chômeur et annonce la création de cinquante mille emplois publics (dans l'administration et les forces de sécurité) ; il lance une réforme constitutionnelle avec l'élection d'un Conseil consultatif aux pouvoirs accrus, qui a lieu en octobre 2011. À Bahreïn, en revanche, des mesures semblables sont prises en février-mars, mais elles ne suffisent pas à calmer la contestation. Celle-ci prend de l'ampleur, et la dynastie régnante Al-Khalifa recourt à la répression forte (attaque de l'armée contre les manifestants sur la place de la Perle, arrestations, tortures, condamnations) et à la manipulation du clivage confessionnel, parlant de complot iranien, dans un pays où la majorité chiite est soumise au pouvoir d'une dynastie sunnite. Le régime en place bénéficie aussi du soutien de soldats saoudiens, émiriens et jordaniens, dans l'indifférence internationale, en particulier américaine, qui s'explique par les intérêts stratégiques des États-Unis, présents dans le pays, car le siège de la Ve flotte se trouve à Manama, d'où sont menées les guerres d'Afghanistan et d'Irak.
L' Arabie Saoudite se démarque avec l'annonce par le roi, en février et mars 2011, d'une série de mesures étalées sur plusieurs années pour un montant estimé de 130 milliards de dollars : création d'emplois au ministère de l'Intérieur, construction de logements (une question sensible pour les jeunes qui ne peuvent pas emménager en couple), augmentation du salaire minimum, accroissement des subventions destinées aux institutions religieuses (qui ont soutenu le pouvoir)... visent à désamorcer la contestation. De plus, de manière très symbolique, le roi annonce en septembre l'extension du droit de vote aux femmes pour les prochaines élections municipales (en 2015). Ces mesures sont néanmoins accompagnées d'une importante mobilisation des forces de sécurité. Au final, à Oman et en Arabie Saoudite, les pouvoirs parviennent à sérieusement limiter l'extension de la contestation à partir de mars 2011.[...]
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Écrit par
- Philippe DROZ-VINCENT : professeur des Universités en science politique
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