PRIX NOBEL DE CHIMIE 2020
CRISPR-Cas9, un outil d’édition des génomes révolutionnaire
On ne peut pas faire de génétique sans s’appuyer sur des mutations et, depuis des décennies, on ne peut plus se contenter, comme au temps de Gregor Johann Mendel ou de Thomas Hunt Morgan, de l’étude des différences naturelles de caractères observables entre individus. On a donc cherché à créer d’autres mutations. Dans un premier temps, jusque vers le milieu des années 1980, celles-ci ont été réalisées « au hasard », en recourant à des rayonnements ou des agents chimiques mutagènes. Mais l’identification des effets de ces mutations chez les organismes eucaryotes posait des problèmes presque insurmontables sauf chez les bactéries. Les techniques de manipulation des cellules embryonnaires ayant ensuite considérablement progressé, la mutation de gènes de manière ciblée est devenue possible, tout en demeurant compliquée à mettre en œuvre et finalement restreinte à un petit nombre d’organismes modèles. C’est par un curieux retour sur les mécanismes de défense des micro-organismes que la possibilité d’intervention sur une zone très précise de l’ADN est apparue. En 1990, Francisco Mojica met en évidence l’existence de courtes séquences répétées dans le génome d’une archée halophile – un micro-organisme unicellulaire procaryote évoluant dans des milieux salins –, les séquences CRISPR (clusteredregularlyinterspaced short palindromicrepeat). Après avoir étendu cette observation à de nombreuses autres bactéries, on a montré que ces séquences sont les instruments de défense des bactéries pour lutter contre les bactériophages, des virus de bactéries. Ces séquences servent à reconnaître le matériel génétique du virus et guident, jusqu’au niveau de l’ADN viral, une enzyme – dont Cas9 est un exemple – qui inactive alors le matériel génétique viral en le sectionnant.
En 2011, Emmanuelle Charpentier identifie dans le staphylocoque un ARN jusque-là inconnu et montre qu’il appartient au système d’immunité CRISPR décrit précédemment. En 2012, Charpentier et Doudna s’associent pour simplifier le système bactérien et le rendre utilisable en laboratoire. L’idée de base est de se servir d’une séquence d’ARN complémentaire de la séquence d’ADN que l’on veut modifier sur un chromosome, comme guide pour définir avec précision le site où l’enzyme Cas9 va couper l’ADN d’intérêt. On peut alors intervenir plus ou moins à volonté sur ce dernier au niveau de la coupure : modification d’un nucléotide, insertion d’une séquence d’ADN étrangère, délétion d’un gène, etc. Les « ciseaux moléculaires » sont nés de cette démarche. Ils sont utilisables sur n’importe quel type de cellule. Appliqués à des cellules totipotentes comme des cellules de l’œuf fécondé, ces outils permettent de modifier le génome de ce dernier et de créer un caractère nouveau transmissible à la descendance. On peut alors parler de la possibilité d’une « réécriture du vivant ». L’outil d’ingénierie du génome est loin d’être parfait et connaît une amélioration constante, mais on perçoit facilement d’ores et déjà l’immensité des perspectives scientifiques qu’il offre, tout autant que les risques évidents induits par de telles manipulations. La modification du génome de certaines espèces d’animaux et de plantes d’intérêt économique est autorisée et pratiquée dans de nombreux pays, ce qui n’est pas sans soulever des problématiques d’ordre légal (brevetabilité du vivant) voire éthique. En revanche, l’intervention sur l’œuf humain est officiellement interdite partout, mais pas sur celle les autres cellules humaines comme les cellules souches de tissus ou d’organes, ce qui ouvre de réelles perspectives thérapeutiques pour certaines maladies génétiques.
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Écrit par
- Gilles SAUCLIÈRES : journaliste scientifique
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