PRIX NOBEL DE PHYSIOLOGIE OU MÉDECINE 2023
Le 2 octobre 2023, le prix Nobel de physiologie ou médecine a été attribué conjointement à la Hongro-Américaine Katalin Karikó et à l’Américain Drew Weissman « pour leurs découvertes concernant les modifications des bases nucléotidiques qui ont permis le développement de vaccins à ARN messager (ARNm) efficaces contre la Covid-19 ». Cette récompense intervient deux ans après l’attribution du prix Lasker à ces deux chercheurs.
Une base nucléotidique modifiée, clé des vaccins à ARNm
La plupart des vaccins reposent sur l’usage de protéines produites par l’organisme pathogène contre lequel on cherche à se protéger, en stimulant de manière spécifique le système immunitaire. La production d’une protéine vaccinale est toujours un processus long, complexe, coûteux et requérant de nombreux contrôles de qualité et d’efficacité. L’idée d’utiliser l’ADN du gène qui code pour ces protéines spécifiques – ou, mieux encore, directement l’ARN messager qui en est la copie exacte – afin que l’organisme produise lui-même le vaccin, court-circuitant ainsi ces différentes étapes de production, n’est pas nouvelle. Néanmoins, elle ne va apporter de résultats véritablement fructueux qu’à partir du milieu des années 2010. Parmi les principales difficultés rencontrées se trouve le fait que les ARNm synthétisés in vitro sont instables et rapidement dégradés par des enzymes lorsqu’ils sont introduits dans une cellule. En outre, contrairement à l’ARNm produit normalement, un ARNm de synthèse est reconnu par des acteurs de l’immunité innée (toll-like receptors), ce qui déclenche une réaction inflammatoire.
À partir des années 2000, la démarche de Katalin Karikó et de Drew Weissman dans le laboratoire de ce dernier consiste à chercher comment utiliser la capacité codante d’un ARNm pour concevoir un ARNm vaccinal. Les ARN produits dans une cellule sont souvent modifiés par différents types de substitutions chimiques ; la plus fréquente d’entre elles, connue depuis les années 1950, est le remplacement de l’une des bases des acides nucléiques, l’uridine – U qui, dans l’ARN, prend la place de T (pour thymine) de l’ADN –, par la pseudo-uridine (ψu), un isomère de l’uridine. La transformation de l’uridine en pseudo-uridine est opérée dans l’ARN par une enzyme spécifique. Un ARNm dans lequel tous les U sont remplacés par des ψu est fonctionnel. Cette substitution joue un rôle biologique dans la nature et, par exemple, chez un parasite comme Leishmania donovani, elle accroît la synthèse de ses protéines. Contrairement à l’ARNm produit naturellement et qui contient des pseudo-uridines, les ARNm synthétisés in vitro n’en comportent pas.
En 2005, dans un article publié dans Immunity, devenu fondateur mais qui, à l’époque, est reçu sans engouement, Karikó et Weissman montrent que la pseudo-uridine incorporée à la place de l’uridine dans l’ARNm produit in vitro stabilise celui-ci, augmente de ce fait sa capacité de synthèse de protéines par la cellule. Une base dérivée de la pseudo-uridine, la N1-méthylpseudo-uridine, augmente encore la durée de vie et la capacité d’expression de l’ARNm ainsi modifié. Dans tous les cas, la réponse immunitaire innée est atténuée, voire abolie. L’ARNm ainsi stabilisé peut produire longtemps la protéine pour laquelle il code. Il est donc candidat à devenir une base vaccinale, pourvu qu’on le fasse pénétrer dans la cellule grâce à un vecteur approprié.
Au début des années 2010, les start-up BioNTech et Moderna s’intéressent aux travaux de ces deux chercheurs et Karikó rejoint BioNTech. Quelques années plus tard, ces deux sociétés conçoivent les deux principaux vaccins contre le SARS-CoV-2 – virus responsable de la Covid-19 –, qui utilisent l’ARNm de la protéine virale Spike, induisant des anticorps neutralisants. Ce succès laisse entrevoir[...]
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Écrit par
- Gabriel GACHELIN : chercheur en histoire des sciences, université Paris VII-Denis-Diderot, ancien chef de service à l'Institut Pasteur
Classification
Média