PRIX NOBEL DE PHYSIQUE 2016
Le prix Nobel de physique 2016 distingue les travaux de trois théoriciens, pour la description de nouveaux états quantiques de la matière et des transitions de phase qui mènent à ces états. Les trois physiciens, David J. Thouless (né à Bearsden, en Écosse, en 1934 et mort à Cambridge, en Angleterre, en 2019), John Michael Kosterlitz (né à Aberdeen, en Écosse, en 1942) et F. Duncan M. Haldane (né à Londres en 1951), sont britanniques mais ont effectué une part importante de leurs carrières dans des universités américaines, respectivement l’université de Washington à Seattle (État de Washington), l’université Brown à Providence (Rhode Island) et l’université de Princeton (New Jersey).
Une transition de phase est le passage d’un état de la matière à un autre état qualitativement distinct. La fonte de la glace en eau liquide est l’exemple le plus courant d’un tel phénomène : l’arrangement ordonné des molécules H2O dans le solide est détruit par un apport de chaleur. De nombreux autres types de phases ont été observés dans les solides. Certaines d’entre elles sont caractérisées par les propriétés électriques ou magnétiques du même échantillon. Les phases isolante, conductrice ou supraconductrice d’un même matériau permettent certaines utilisations particulières. Les transitions de phase sont souvent liées à des changements de symétrie des arrangements atomiques ou moléculaires de la matière. Ainsi, les symétries présentes dans le cristal d’eau disparaissent dans le système désordonné qu’est l’eau liquide.
Les transitions de phase qu’ont découvertes en 1972 Thouless et Kosterlitz, lors de l’étude théorique d’un modèle quantique bidimensionnel représentant de façon très simplifiée une couche d’atomes, sont d’un type très différent : la grandeur caractéristique de chacune des phases y est de nature topologique. La topologie est la branche des mathématiques qui étudie les transformations de la géométrie de structures ou d’espaces, indépendantes de la mesure. L’exemple historique souvent cité d’un problème topologique est le problème « des sept ponts de Königsberg », posé et résolu par Leonhard Euler en 1736 : comment se promener dans une ville possédant deux îles et sept ponts en passant une fois et une seule sur chaque pont et en revenant à son point de départ ? Henri Poincaré a beaucoup contribué à ce domaine mathématique dans son ouvrage Analysis Situs publié en 1895.
Le nombre de dimensions d’un système (une ligne possède une dimension, une surface deux dimensions, un volume trois dimensions) influe considérablement sur l’étude théorique d’un phénomène physique tel que les transitions de phase. Jusqu’en 1972, il paraissait impossible qu’une phase ordonnée d’un système bidimensionnel (une couche monoatomique ou la surface d’un matériau) disparaisse par apport d’énergie ; en d’autres termes, ces systèmes ne pouvaient être l’objet d’aucune transition de phase. En 1972, Thouless et Kosterlitz démontrent le contraire dans un article titré « Sur l’ordre, la métastabilité et les transitions de phase dans les systèmes bidimensionnels ». Les deux chercheurs écossais qui enseignaient alors au département de physique mathématique de l’université de Birmingham (Royaume-Uni) proposent une nouvelle définition de l’ordre – qu’ils appellent ordre topologique – dans un tel système, et insistent sur la possibilité d’une transition de phase caractérisée par un changement de réaction du système à une perturbation externe. Le mécanisme à l’œuvre est l’apparition ou la destruction de paires de défauts, des « vortex » semblables à des tourbillons. Leurs travaux clarifient les résultats obtenus par le physicien soviétique Vadim Berezinskii (1935-1980) qui avait remarqué quelques années plus tôt le rôle des défauts topologiques dans le comportement des systèmes bidimensionnels à basse température. Les transitions[...]
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Écrit par
- Bernard PIRE : directeur de recherche émérite au CNRS, centre de physique théorique de l'École polytechnique, Palaiseau
Classification
Médias