PRIX NOBEL DE PHYSIQUE 2022
Le prix Nobel de physique 2022 a été décerné à trois spécialistes de l’optique ayant mené depuis les années 1970 des expériences décisives de physique quantique, « avec des photons intriqués, établissant ainsi la violation des inégalités de Bell » : le Français Alain Aspect, l’Autrichien Anton Zeilinger et l’Américain John Clauser. Leurs travaux, menés indépendamment, ont démontré la réalité du surprenant phénomène d’intrication de deux particules que l’on décrit par une unique fonction d’onde, les caractéristiques de l’une continuant de dépendre de celles de la seconde, même lorsque celles-ci sont éloignées l’une de l’autre. Motivée par les difficiles problèmes d’interprétation de la mécanique quantique, cette recherche débouche désormais sur de possibles applications concrètes telles que la cryptographie quantique, et le jury Nobel ajoute aux mérites des lauréats la mention de « leur rôle de pionniers dans la science de l’information quantique ».
Dans les années 1930, le débat est vif entre les fondateurs de la physique quantique : la dualité onde-particule, les relations d’incertitude de Werner Heisenberg, la représentation mathématique d’un système par une fonction d’onde sont les causes d’une incompréhension profonde des processus de mesures auxquels aboutit toute expérience physique. Dans une série d’articles difficiles à décrypter, Niels Bohr, Albert Einstein, Erwin Schrödinger et d’autres tentent d’analyser et de combler le fossé qui sépare un discours classique d’une description quantique des phénomènes physiques. Notons que ce débat n’intéresse guère la plupart des physiciens, qui développent alors l’électrodynamique quantique et amènent ses prédictions théoriques à un accord excellent avec des mesures expérimentales toujours plus précises.
Le paradoxe EPR (pour les initiales de ses auteurs, Albert Einstein, Boris Podolsky et Nathan Rosen) focalise la discussion. Mettant en avant ce qu’ils appellent « une définition raisonnable de la réalité », les auteurs argumentent que la description de l’émission de deux particules par une seule fonction d’onde n’est pas complète. Un autre fondateur de la mécanique quantique, l’Autrichien Erwin Schrödinger (1887-1961) commente cet article en faisant remarquer que la mécanique quantique implique un « enchevêtrement » des deux particules produites ; on préférera le terme d’intricationpour signifier la non-séparabilité des caractéristiques des deux particules. En 1952, David Bohm (1917-1992) argumente dans le même sens et propose une nouvelle version du paradoxe EPR en utilisant le caractère discontinu du spin, ce moment angulaire intrinsèque des particules sans réel équivalent dans le « monde classique ». Il propose que l’apparente incomplétude de la mécanique quantique provienne de l’omission de « variables cachées locales » (soit un manque d’information) qui permettraient de définir exactement l’état dynamique des particules et d’échapper aux conséquences désastreuses des relations d’incertitude d’Heisenberg qui, justement, interdisent cette définition.
En 1964, le physicien irlandais John Bell (1928-1990) démontre que l’on peut soumettre à un test expérimental le débat sur le paradoxe EPR. Il prouve que la corrélation entre les résultats d’un grand nombre de mesures doit rester inférieure à une certaine valeur dans l’hypothèse des variables cachées locales. Si cette inégalité est contredite (donc si les corrélations dépassent cette borne), l’existence de variables cachées doit être rejetée, et la physique quantique affirme sa pertinence. Les quantités à mesurer sont liées au spin des particules. Les inégalités de Bell révolutionnent ce domaine de la physique, et le débat épistémologique – vigoureux, mais réservé à quelques spécialistes comme le philosophe et physicien français[...]
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Écrit par
- Bernard PIRE : directeur de recherche émérite au CNRS, centre de physique théorique de l'École polytechnique, Palaiseau
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Média