PROBABILISME
Le système de théologiemorale qui, dans l'Église catholique, a pris le nom de probabilisme tient à la difficulté d'appliquer strictement et indistinctement les lois de la morale chrétienne aux cas de conscience divers et précis que les fidèles rencontrent. Cette difficulté a été ressentie très tôt ; le problème de l'ignorance de la loi et celui du doute de la conscience occupèrent déjà les théologiens médiévaux, qui comprirent la nécessité de définir une interprétation de la loi qui recourût à la notion aristotélicienne de convenance, d'équité (épieikeia) : le principe le plus sûr doit toujours être appliqué, avec le correctif de l'épieikeia : c'est là la doctrine du « tutiorisme », du choix du plus sûr.
C'est dans le commentaire de cet enseignement que le probabilisme apparut à la faculté de théologie de Salamanque, vers la fin du xvie siècle ; l'initiateur en fut un maître dominicain, Barthélemy de Medina (1528-1580). Celui-ci enseigne que, si une opinion est probable, il est permis de la suivre, quand bien même l'opinion opposée serait plus probable. Au tutiorisme succède ainsi une interprétation moins rigoureuse de la loi, qui accepte comme moralement licites des opinions seulement probables. Avec le jésuite Gabriel Vazquez (1549-1604), le probabilisme reçoit un développement systématique : les lois morales doivent être différemment appliquées selon qu'il s'agit de l'homme instruit ou de l'ignorant ; le sujet moral peut suivre une opinion d'emprunt, contraire à la sienne propre, en fonction de sa seule probabilité auprès d'autres esprits. Vazquez est suivi par un autre jésuite, François Suarez, qui prolonge cet enseignement en fonction du caractère de la loi et de son degré d'obscurité.
Le probabilisme devient donc un refus du rigorisme moral des théologiens classiques. Dans le contexte polémique des congrégations de auxiliis, un amalgame imprévu se produit : le probabilisme est reçu comme le complément et l'application, en matière de théologie morale, des thèses de Molina en théologie dogmatique ; il permet le développement de la casuistique, qui traite des « cas » de morale pratique en fonction du probable possible, et non de la règle la plus sûre, et à l'histoire de laquelle sont attachés notamment les noms du jésuite Escobar (1589-1669) et du cistercien Caramuel (1606-1682). De fait, le laxisme représente la tendance extrême du probabilisme. C'est pourquoi les jansénistes (avec les Lettres provinciales de Pascal en 1656 et, davantage, avec leur traduction latine par Nicole en 1658) et les Dominicains dénoncent le probabilisme comme une « morale relâchée » et s'efforcent, à partir de 1656, de la faire condamner à Rome. Le probabilisme était alors en passe de devenir la doctrine officielle des Jésuites, bénéficiant de la faveur du père Oliva, qui fut leur général de 1664 à 1681. En 1679, le pape Innocent XI condamne soixante-cinq thèses de morale relâchée : les quatre premières concernent, de manière nuancée, l'usage de la probabilité sur ces matières.
Le débat n'est pas clos pour autant : en 1687, l'intervention d'Innocent XI fait élire à la tête de la Compagnie de Jésus l'Espagnol Thyrso González (1624-1705), adversaire du probabilisme et jusqu'alors minoritaire dans la Compagnie. En 1694, il publie un ouvrage intitulé Fondement de la théologie morale, dont ses supérieurs ont pendant plusieurs années interdit la parution et condamné la doctrine. González y expose une interprétation de la loi qu'il nomme « probabilioriste » : une plus grande probabilité est requise pour que soit admise l'opinion moins sûre. La position de González, qui se présentait comme médiane entre celle des rigoristes et celle des laxistes, ne fit pas l'unanimité et entraîna de graves[...]
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Écrit par
- Jean-Robert ARMOGATHE : directeur d'études à l'École pratique des hautes études, sciences religieuses
Classification
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