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PROCHE ET MOYEN-ORIENT CONTEMPORAIN

Des États « autoritaires-modernisateurs »

Nombre de pays de l'Orient arabe traversent, au cours des années 1950 et 1960, une phase de modernisation autoritaire assez comparable à ce que fut l'expérience du kémalisme en Turquie. Des militaires nationalistes chassent les vieilles oligarchies compromises avec le colonisateur et rendues responsables de la défaite de 1948 en Palestine. Ces régimes prétoriens se font les porte-parole de nouvelles forces sociales issues des classes moyennes, car les armées apparaissent souvent comme les seuls corps politiques organisés. Ce sont toutefois des armées récentes, sans tradition corporatiste, qui se recrutent dans les couches moyennes et populaires de la société rurale. La culture politique autoritaire dont elles sont porteuses se conjugue avec une authentique aspiration au bouleversement social, au nom d'une idéologie populiste. Dans les systèmes politiques issus des coups d'État militaires, s'opère une relative confusion au sommet entre l'armée, la bureaucratie et le parti unique. Mais, quel que soit l'équilibre des rapports de force internes au pouvoir, l'État accroît partout son emprise sur la société. Ce poids nouveau de l'État est indissociable des choix développementalistes qu'opèrent des régimes conscients des décalages économiques à combler avec l'Occident. L'État se prévaut de la faiblesse des bourgeoisies nationales, incapables d'assurer l'accumulation primitive, pour définir lui-même les choix d'investissement dans le cadre d'une planification à la soviétique et pour prendre en charge la gestion de l'économie au moyen d'un important secteur public. La réforme agraire figure le plus souvent parmi les premières mesures adoptées. Ses objectifs initiaux sont politiques autant qu'économiques : il s'agit de casser le pouvoir de l'ancienne oligarchie tout en assurant aux nouveaux régimes une assise solide dans la petite et moyenne paysannerie, bénéficiaires de la redistribution foncière. Si l'on en juge pourtant par le maintien autoritaire de faibles prix agricoles à la production, c'est la nécessité de nourrir les villes qui l'a finalement emporté sur la recherche du soutien politique des campagnes. Le transfert de richesses ainsi assuré en faveur des milieux urbains a contribué à accélérer l'exode rural mais aussi à creuser les déficits alimentaires par ailleurs aggravés par la pression démographique. Le monde arabe, globalement autosuffisant dans les années 1950, importe, dans les années 1990, la moitié environ de ses besoins en nourriture. Le sacrifice des agricultures n'est pas non plus dissociable de la priorité reconnue à l'industrie lourde par la majorité des États. La volonté de construire une solide base productive et de casser la dépendance à l'égard de l'environnement international conduit les régimes à préférer de grands projets industriels qui sont autant de symboles du développement : des barrages, comme à Assouan en Égypte ou à Tabqa sur l'Euphrate syrien, des centrales thermiques, des aciéries, bientôt des complexes pétrochimiques. Cette politique économique s'accompagne du souci de développer les infrastructures ainsi que les services offerts à la population. L'effort consenti dans le domaine de l'éducation, s'il a contribué à nourrir une bureaucratie pléthorique et peu productive, a donné naissance à ces « nouvelles classes moyennes salariées » qui ont durablement bouleversé la structuration des sociétés. Le socialisme arabe, défini comme une voie moyenne entre le capitalisme et le socialisme marxiste, n'est rien d'autre que ce développementalisme volontariste impulsé par l'État, accompagné du souci de réduire les inégalités sociales par une large redistribution des ressources.[...]

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Écrit par

  • : professeur des Universités, Institut national des langues et civilisations orientales, Paris
  • : maître de conférences habilitée à diriger des recherches, Sciences Po Aix

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Médias

Moyen-Orient : carte politique - crédits : Encyclopædia Universalis France

Moyen-Orient : carte politique

Moyen-Orient, 1914 - crédits : Encyclopædia Universalis France

Moyen-Orient, 1914

Soldats afghans - crédits : Capt. John Burke/ Hulton Archive/ Getty Images

Soldats afghans

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