Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

PROCHE ET MOYEN-ORIENT CONTEMPORAIN

États consolidés, régimes contestés

Par-delà les jeux compliqués de la géopolitique, des mutations profondes sont à l'œuvre durant la décennie de 1990 dans les sociétés de la région, des mutations occultées par l'attention excessive que les analystes ont traditionnellement portée à l'idéologique. La plus significative est peut-être la consolidation des États et l'emprise nouvelle qu'ils exercent partout sur l'espace social. Non que le Moyen-Orient ait ignoré le despotisme. Mais l'État autoritaire traditionnel n'investissait pas la totalité du champ social ; il n'en avait ni la volonté ni les moyens. Seule la modernisation autoritaire conduite par l'État développementaliste a permis une intégration et un contrôle social jusque-là inédits. Toutefois, au Moyen-Orient, le développement s'est nourri de la rente plus que de l'économie productive. La nature des revenus de l'État dans les années 1980 en témoigne sans ambiguïté. Dans l'exemple extrême du Koweït, ils proviennent à 98 p. 100 de ressources non fiscales, qu'elles soient issues des exportations pétrolières ou du bénéfice des placements financiers internationaux. L'État égyptien vit également, pour plus de 45 p. 100, de ressources transférées qui proviennent du pétrole, du canal de Suez, des remises des émigrés ou même de l'aide américaine, indissociable de la rente de situation dont jouit l'Égypte. Dans tous les cas, la contribution de la fiscalité directe aux revenus de l'État est très inférieure à celle que l'on observe dans la plupart des économies industrialisées. Faiblement dépendant de l'extraction fiscale, l'État dispose d'une autonomie accrue à l'égard de la société, et, si l'on établissait un lien de principe entre taxation et représentation, les gouvernements du Moyen-Orient n'auraient guère d'obligations démocratiques. Cela d'autant moins que l'abondance de la rente en a fait des régimes allocataires redistribuant massivement salaires, services et prébendes. C'est sur la base de ce pacte rentier implicite que l'État est parvenu à imposer un monopole politique, mais encore idéologique et culturel, aussi absolu sur les sociétés. Car la violence d'État, pour fondamentale qu'elle soit, ne saurait à elle seule rendre compte de la longévité de régimes qui prennent le plus souvent appui sur d'étroits groupes de solidarité, qu'il s'agisse de groupes dynastiques comme en Jordanie et dans la péninsule arabe, d'une communauté confessionnelle comme les Alaouites de Syrie ou d'un clan régional, si l'on songe aux Takritis au pouvoir à Bagdad jusqu'en 2003. Dès lors que la rente permet l'achat du consensus et que le développement entend se substituer aux nécessités de la représentativité, toute crise économique se traduit inévitablement par une crise de la légitimité politique.

Libéralisme et démocratie

Le contre-choc pétrolier de 1986 (qui se traduit par la baisse des prix des produits pétroliers) révèle l'ampleur de la crise structurelle des économies moyen-orientales. La crise tient d'abord aux effets pervers de la rente qui a contribué à masquer la faible rentabilité de l'investissement et la médiocre productivité du travail, tout en permettant le recours massif à l'importation. Au Moyen-Orient, la hausse de la consommation a précédé le développement des capacités productives plus que nulle part ailleurs dans le monde. Mais la crise tient aussi au modèle de développement emprunté par certains régimes arabes à l'expérience soviétique. Pour pallier les effets de la crise, les États de la région se convertissent au credo libéral et se tournent vers les organismes internationaux de développement. Ces derniers attendent de la libéralisation de l'économie l'émergence d'une bourgeoisie[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur des Universités, Institut national des langues et civilisations orientales, Paris
  • : maître de conférences habilitée à diriger des recherches, Sciences Po Aix

Classification

Médias

Moyen-Orient : carte politique - crédits : Encyclopædia Universalis France

Moyen-Orient : carte politique

Moyen-Orient, 1914 - crédits : Encyclopædia Universalis France

Moyen-Orient, 1914

Soldats afghans - crédits : Capt. John Burke/ Hulton Archive/ Getty Images

Soldats afghans

Autres références

  • ABBAS MAHMOUD (1935- )

    • Écrit par et
    • 2 006 mots
    • 1 média

    Homme d’État palestinien, Mahmoud Abbas a été Premier ministre de l’Autorité palestinienne en 2003, sous la présidence de Yasser Arafat, avant de succéder à ce dernier en 2005.

    Mahmoud Abbas est né le 26 mars 1935 à Safed, ville de haute Galilée, aujourd'hui située à l'intérieur des frontières...

  • ABDALLAH IBN ‘ABD AL-‘AZĪZ (1923 ou 1924-2015) roi d'Arabie Saoudite (2005-2015)

    • Écrit par
    • 1 590 mots

    Roi d’Arabie Saoudite de 2005 à 2015.

    Le 1er août 2005, le prince Abdallah ibn Abd al-Aziz ibn Abd al-Rahman al-Saoud devient roi d'Arabie Saoudite, après le décès de son demi-frère, le roi Fahd. Né en 1923 ou 1924 selon les sources, il est l'un des fils du roi Abd al-Aziz ibn Saoud, le...

  • ACCORDS DE WASHINGTON

    • Écrit par
    • 246 mots
    • 1 média

    La fin de la guerre froide a modifié les données du conflit du Proche-Orient. Après la guerre du Golfe, les États-Unis poussent Israël à participer à une conférence de paix. Le retour au pouvoir des travaillistes israéliens, en 1992, facilite la conclusion des accords secrètement négociés...

  • SUEZ AFFAIRE DE (1956)

    • Écrit par
    • 281 mots
    • 1 média

    Le 22 décembre 1956, le rembarquement du corps expéditionnaire franco-britannique à Port-Saïd (Égypte) illustre les nouveaux rapports de forces internationaux de l'après-1945. En nationalisant le 26 juillet 1956 le canal de Suez, le leader égyptien Nasser entendait affirmer la...

  • Afficher les 69 références