PROCLUS (412-485)
Esquisse doctrinale
On ne peut évidemment pas comprendre les démarches de Proclus sans avoir présents à l'esprit quelques présupposés communs à tous les néo-platoniciens. Ceux-ci n'étudient pas Platon comme un penseur marquant une étape dans une évolution historique, mais comme un maître inspiré dispensant une sagesse éternellement vivante. Dès lors, il ne faut pas seulement l'interroger sur les questions qu'il a posées, mais aussi sur les problèmes qu'il n'a pas explicitement envisagés. Pour répondre aux difficultés qui ont surgi en d'autres temps que le sien, on dégagera les contenus implicites de ses thèses. Mais expliquer, c'est inévitablement prolonger et reprendre en sous-œuvre. C'est ainsi que les néo-platoniciens seront amenés à faire du platonisme une création continuée, à créer en cherchant seulement à commenter. On pourrait leur prêter le mot de R. Schaerer : « Le Platon des Anciens n'était que ce qu'il fut. Le nôtre est devenu ce qu'il était appelé à être. »
Le néo-platonisme n'est pas n'importe quel platonisme. Il consiste essentiellement à interpréter d'une façon qu'on va préciser la seconde partie du Parménide de Platon et à assumer sous cette démarche l'ensemble de la pensée platonicienne. Le néo-platonisme mériterait dans ce sens d'être appelé « néo-parménidisme ». Toutes les formes d'être et de non-être sont pour lui les modalités ordonnées de l'Un. Cette exégèse semble avoir été inaugurée par Plotin et avoir été poursuivie par les maîtres de l'école jusqu'à Damascios inclus. Elle définit donc ce courant de pensée. Ne sont dès lors néo-platoniciens ni les prédécesseurs de Plotin qu'on appelle « moyens platoniciens », ni les augustiniens, bien que ces philosophes aient accueilli plusieurs thèses platoniciennes ou néo-platoniciennes.
Proclus a écrit le Commentaire du Parménide le mieux construit que l'on connaisse. Malheureusement cet ouvrage s'arrête à la fin de la première hypothèse. Il faut en deviner la suite en usant des indications que l'auteur donne çà et là et des reprises de la Théologie platonicienne. Le jeu dialectique du Parménide revient à explorer toutes les manières possibles d'affirmer l'un et de le nier. Neuf fois, on part de l'un et on y revient sous des points de vue différents et complémentaires. Ce sont les neuf hypothèses, semblables à neuf chemins rayonnant à partir d'un même centre. Nier l'un, c'est aboutir à la dissolution de l'esprit et des choses. S'il n'y a plus d'unité, il n'y a pas davantage de diversité, pas davantage de contradiction. C'est ce que signifient les quatre dernières hypothèses négatives.
Mais poser l'un, c'est soulever plusieurs oppositions. Dans un sens (première hypothèse), l'un est trop un pour être affirmable, car la plus simple affirmation est relation et donc transgresse la simplicité pure, comme le répétera le Sophiste (245 b). On est ici à l'origine de la théologie négative et du non-savoir des mystiques, devant la nécessaire ineffabilité de l'absolu. Dans un sens opposé (cinquième hypothèse), l'un n'est pas assez un pour être affirmable, car, s'il est privé de toute détermination et de toute pluralité interne, il n'a plus que l'unité négative de l'absolue pauvreté et la réalité du vide, ce qui définit la matière. Maintenant, entre ces deux extrêmes, dont l'un est inaffirmable par excès et l'autre par défaut, s'insèrent plusieurs moyens termes qui sont réalisables. On peut combiner l'un et le multiple de façon à former un système ou un tout, soit en donnant à l'un la souveraineté, et c'est le monde intelligible (deuxième hypothèse), soit en accordant au multiple la prédominance, et c'est le monde empirique (quatrième[...]
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Écrit par
- Jean TROUILLARD : professeur honoraire à l'Institut catholique de Paris
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