PRODUCTION SYNTAXIQUE
Protocoles expérimentaux de production syntaxique
Au-delà des lapsus et des troubles, les mécanismes cognitifs de la production syntaxique sont régulièrement étudiés en laboratoire. Dans des expériences devenues classiques, des locuteurs doivent lire des phrases ou bien décrire des scènes simples, les unes après les autres. L'expérimentateur contrôle soigneusement la séquence ainsi que les structures syntaxiques des phrases à lire, par exemple en introduisant une proportion variable de phrases actives et passives, ou bien en variant la proportion de verbes transitifs et intransitifs. Lorsque les scènes se prêtent à plusieurs descriptions, comme « le camion suit la voiture » ou « la voiture est suivie par le camion », on observe que les choix syntaxiques des locuteurs sont influencés par les phrases qui les ont précédés. Ainsi ils produisent plus souvent des phrases passives dans le contexte de phrases passives. C'est le phénomène de persistance (ou amorçage) syntaxique. L'utilisation de structures soigneusement choisies (comme le double objet en anglais) a montré qu'une composante de ce phénomène est intrinsèquement syntaxique. La persistance n'est pas due à la réutilisation de certains mots (comme telle préposition ou tel verbe auxiliaire), mais bel et bien à la réutilisation d'une structure syntaxique donnée.
Vraisemblablement, la persistance syntaxique est aussi à l'œuvre dans les conversations quotidiennes, où les interlocuteurs ont une tendance naturelle à harmoniser leurs choix linguistiques, notamment les structures des phrases.
Une conclusion majeure de ce qui précède est que l'élaboration du contenu des messages est relativement distincte de la production syntaxique. Le cœur du processus d'encodage syntaxique est l'établissement des relations entre les mots sur la base des règles de la langue pour exprimer au mieux le message. À l'heure actuelle deux modèles de traitement sont débattus. Ces deux modèles partagent l'idée que c'est l'élaboration du contenu d'un message qui ouvre la voix à l'encodage syntaxique. Ils diffèrent à propos de l'organisation des procédures d'encodage.
Dans le premier modèle, ce sont les mots qui sont récupérés en premier et qui sont à l'origine des structures syntaxiques. Dans ce cas, la disponibilité relative des mots permettant d'exprimer le message dicte les choix syntaxiques. Ainsi, le choix d'un verbe transitif impose l'usage d'un complément d'objet. Dans le deuxième modèle, le message conduit à récupérer des structures syntaxiques appropriées à son expression. Par exemple, une structure passive, plutôt qu'active, peut être requise si l'objet de l'action est le sujet du message : « ma souris est poursuivie par un chat de gouttière », où c'est ma souris qui m'importe et dont je souhaite parler. Une fois la structure choisie, celle-ci guidera à son tour le choix des mots (« ma souris » ou « ma mascotte » ou « Grisette », etc.). Ces deux dynamiques, partant de la récupération en mémoire de mots ou de structures, semblent opérer à des degrés divers selon les circonstances de la production.
Dans tous les cas, la récupération en mémoire de la structure syntaxique à utiliser est suivie du processus d'assemblage ou liage. Celui-ci consiste à associer tel élément du message, avec le mot et le rôle grammatical correspondants. Ce processus de liage serait à son tour suivi des processus d'ajustement de formes, comme les formes des accords en genre ou nombre, ou les conjugaisons. Dans ce cadre, deux objectifs importants des recherches en cours peuvent être mentionnés : obtenir une caractérisation fine de la coordination temporelle des différentes étapes de traitement linguistique et déterminer dans quelle mesure l'encodage syntaxique repose sur des substrats[...]
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Écrit par
- F.-Xavier ALARIO : docteur en sciences cognitives, directeur de recherche au CNRS
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