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PROHIBITION DE L'INCESTE

La prohibition de l'inceste se rapporte à la règle sociale qui interdit les relations sexuelles (plutôt que matrimoniales) entre certains individus du fait d'un lien de parenté particulier (de consanguinité ou d'alliance) qu'ils entretiennent entre eux.

Il s'agit bien d'une règle sociale du fait qu'elle opère un découpage, très variable d'une culture à l'autre, entre des catégories d'apparentés, interdits ou non de relations sexuelles entre eux. Dans le même temps, elle partage avec les lois qui régissent les phénomènes naturels (physiques ou biologiques) le critère de l'universalité.

« Conséquences néfastes » ou aversion innée ?

Si nos contemporains ancrent souvent la raison d'être des interdits incestueux dans la notion de risques biologiques, ce n'est pourtant pas, historiquement, la motivation première. Ainsi les juristes romains alléguaient plutôt le risque de la confusion des rôles sociaux. Épouser sa mère, c'était ainsi ajouter au nom de « fils » celui de « mari » et donner jour à une « fille » qui aurait droit au nom de « sœur ». Confondre ces rôles, c'est porter atteinte au fas, à l'ordre du monde qui distingue les ordres divin, humain et animal. Ce type d'explication tient évidemment lieu de rationalisation a posteriori. Lorsqu'un Romain épousait sa cousine, il ne se posait plus la question de la confusion des rôles qu'entraînait cette union mais échangeait simplement le statut de cousin pour celui d'époux.

Une autre interprétation, plus souvent avancée de nos jours, est formulée par l'anthropologue Robin Fox en termes de « conséquences néfastes » (the dire consequences) de l'inceste. C'est celle des effets biologiques supposés « désastreux » des mariages consanguins. Cette idée qui précède l'apparition du modèle génétique et que l'on voit poindre dès le xviie siècle est reprise systématiquement, dans la seconde moitié du xixe siècle, sous la plume d'auteurs comme Henry Maine (Le Droit antique, 1861) ou Lewis Henry Morgan (La Société archaïque, 1877).

L'argument place le débat au niveau non plus du couple mais de sa progéniture. Pour qu'il puisse rendre compte effectivement de l'apparition d'interdits incestueux dans l'ensemble des sociétés humaines, il convient que toutes reconnaissent l'existence d'un lien causal entre biologie, sexualité et reproduction. Or beaucoup d'entre elles n'ancrent pas l'idée de la génération dans un processus biologique (l'enfant est la réincarnation d'un ancêtre décédé, etc.). Dans ces cas, quelle raison y aurait-il à éviter un partenaire sexuel biologiquement proche là où l'on n'associe pas sexualité et reproduction ?

On pourrait certes arguer qu'il s'agit d'un garde-fou que l'homme n'appréhenderait pas consciemment mis en place par la sélection naturelle. Mais, contrairement aux comportements d'évitements sexuels (outbreeding) repérables dans d'autres espèces, la prohibition de l'inceste chez l'homme porte sur des catégories « aberrantes » si l'on s'avise de les traduire en termes de « proximité génétique ». Il en était ainsi de la possibilité à Athènes d'épouser sa demi-sœur agnatique mais pas utérine, de celle à Rome depuis le sénatus-consulte de Claude d'épouser la fille de son frère mais pas de sa sœur, etc. Dans tous ces cas, la prohibition interdit certaines catégories d'apparentés et en autorise d'autres qui sont pourtant exactement dans le même rapport de proximité génétique.

S'agit-il alors d'une disposition psychologique innée ? Cette idée prendra deux formes radicalement opposées. La première, chez Henry Havelock Ellis (Études de psychologie sexuelle[...]

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Écrit par

  • : docteur en lettres et sciences humaines, maître de conférences à l'École des hautes études en sciences sociales

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