Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

PROHIBITION DE L'INCESTE

Vers une institution sociale « sui generis »

Émile Durkheim va détourner la prohibition de l'inceste de ces notions de risque et d'attirance-répulsion psychologique pour en faire une pure institution sociale. Il voyait dans la prohibition de l'inceste une conséquence de l'évitement du contact avec le sang menstruel des apparentées, symbole du totem et de l'unicité du groupe (« La Prohibition de l'inceste et ses origines », in L'Année sociologique, 1898). Ferguson McLennan, Baldwin Spencer ou John Lubbock considéraient, quant à eux, qu'elle découlait de l'exogamie et de l'habitude de capturer des épouses étrangères à la guerre. Comme le remarque Claude Lévi-Strauss, il est cependant malaisé de soutenir qu'une institution universelle découle d'institution aussi particulières que le « mariage par rapt » ou l'évitement du sang des menstrues.

Il propose donc à son tour sa vision de la prohibition de l'inceste (Les Structures élémentaires de la parenté, 1949). Pour cet auteur, en s'interdisant d'épouser ses parentes, l'homme s'oblige à entretenir des relations d'alliance avec d'autres groupes. Il entre ainsi dans un processus de réciprocité et d'échange similaire à celui qui est créé par le langage. Cette hypothèse n'est pas sans rappeler à cet égard la conception augustinienne selon laquelle les interdits incestueux visent à étendre la caritas à l'ensemble des chrétiens. La prohibition de l'inceste, en tant que règle négative, n'à en effet pour objet que d'instituer une pratique positive : celle de « l'échange des femmes » entre des groupes autrement voués à un fatal isolement social.

L'hypothèse est séduisante mais n'échappe pas pour autant aux critiques. Ainsi, si ces prohibitions ont pour seule fonction l'établissement d'un réseau de communication entre des groupes étrangers les uns aux autres, comment expliquer son maintien dans les sociétés où le choix du conjoint se fait au sein du même du « groupe » ? La question se pose avec plus d'acuité pour celles qui ne reconnaissent pas l'institution du mariage (Na, Sénoufo Nafara ou Nayar) et où le respect des prohibitions n'établit donc aucun lien pérenne entre unités distinctes. Poser la prohibition de l'inceste comme simple condition de l'établissement de liens d'alliance, c'est donc, pour paraphraser la critique que Lévi-Strauss adressait à d'autres travaux, faire découler un phénomène universel d'un autre bien plus particulier.

C'est peut-être pourtant dans cette voie heuristique empruntée par Lévi-Strauss, qui reconnaît le caractère éminemment social de cette institution, sans la détacher complètement de son substrat naturel, qu'il convient de prolonger les recherches sur un phénomène qui caractérise l'ensemble des sociétés humaines mais dont aucune n'est encore parvenue à démonter les ressorts ou à appréhender les causes.

— Laurent BARRY

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : docteur en lettres et sciences humaines, maître de conférences à l'École des hautes études en sciences sociales

Classification

Autres références

  • ANTHROPOLOGIE

    • Écrit par et
    • 16 158 mots
    • 1 média
    ...caractères de l'espèce et de la variabilité des règles sociales. Dans les faits de parenté, ce qui instaure le lien entre nature et culture, c'est le prohibition de l' inceste, présente dans toute l'espèce humaine, et dans une grande diversité allant de la restriction minimale – les parents directs –...
  • CULPABILITÉ

    • Écrit par
    • 9 684 mots
    • 1 média
    ...du crime dans ses deux formes les plus abhorrées : l' inceste et le parricide, soulignant ainsi que l'homme commence avec l'interdit et la faute. Or la prohibition de l'inceste n'est que le pivot subjectif par où se scelle, avec plus ou moins de succès selon les cas, l'« accrochage » de l'individu à la...
  • CULTURE - Nature et culture

    • Écrit par
    • 7 892 mots
    • 2 médias
    La prohibition de l' inceste, obligeant les hommes à communiquer, fonde la culture. Telle est la conclusion frappante de l'étude des Structures de la parenté (1948) de C.  Lévi-Strauss.
  • ETHNOLOGIE - Histoire

    • Écrit par
    • 5 642 mots
    • 2 médias
    ...théorie moderne de la parenté, et l'étude des systèmes de relations a ouvert la voie à la méthode structuraliste de Claude Lévi-Strauss. Partant de la prohibition de l'inceste, celui-ci découvre qu'elle fonde une règle positive : l'obligation de donner des femmes. Il étudie le système d'échange des...
  • Afficher les 16 références