PROJECTION, psychanalyse
Projection et identification
La projection est aussi un mécanisme fondamental du développement de la personnalité de l'enfant ; elle est, en effet, le mouvement inverse, symétrique et complémentaire de l'identification, car s'identifier, c'est non seulement intérioriser l'image d'autrui, mais aussi projeter sa propre image sur celle du modèle. À l'origine, au stade oral primitif, c'est l'incorporation qui s'oppose au rejet. À cette phase de narcissisme primaire, la distinction n'est pas encore faite entre le sujet et l'objet. C'est seulement lorsque se construisent les représentations de soi et de l'objet qu'apparaissent l' introjection et son inverse, la projection. Lorsque la distinction sujet-objet est nettement acquise, on peut parler d'identification et de projection normale. Le schéma suivant indique que cette évolution symétrique passe par trois niveaux successifs, dont seul le troisième correspond à la normalité adulte :
En cas de régression (névrose narcissique) apparaissent les mécanismes les plus primitifs : introjection, dans la mélancolie (S. Nacht) ; projection, dans le délire et la schizophrénie. On a pu remarquer au passage la lacune sémantique qui fait que le même terme de projection définit à la fois un mécanisme projectif de l'activité psychique normale et un mécanisme projectif délirant très régressif correspondant à son inverse, l'introjection : cette projection pathologique devrait pouvoir être distinguée de l'autre par un qualificatif comme le font H. B. English et A. C. English qui l'appellent disowning projection, mettant ainsi l'accent sur le refus d'appropriation et sur l'effraction des limites qui séparent normalement le sujet du monde extérieur.
La projection apparaît donc comme un élément essentiel dans la connaissance d'autrui. On a pu parler à ce propos de « dialogue de sourds » dans la mesure où le sujet ne fait, par elle, que prêter à l'autre les désirs, les sentiments, les craintes qui l'animent. La véritable communication interpersonnelle se trouve alors empêchée. Mais est-il possible d'appréhender la réalité extérieure autrement que par cette saisie subjective et projective ? L. Bellak a bien montré comment cette déformation perceptuelle grève le développement de la connaissance et du savoir humain, qui ne peut s'affranchir de cette méconnaissance fondamentale, de cette nécessaire distorsion.
Dans les relations entre l'enfant et ses parents, la projection est constamment à l'œuvre : pour le premier, dans l'image qu'il se crée de son père et de sa mère, et pour les seconds, qui se projettent sur leur enfant dans l'idée qu'ils se font de sa place, de ses rôle et statut dans la famille, ainsi que l'avenir qu'ils lui souhaitent. Associée à l'identification, la projection participe donc à la formation du moi idéal, puis du surmoi œdipien, en référence à un idéal du moi à la fois infantile et parental. On retrouve le même mécanisme dans les relations sociales, les inférieurs se projetant sur leurs supérieurs, et réciproquement, selon la dialectique connue du maître et de l'esclave, laquelle est inséparable, d'ailleurs, d'une agressivité qui reste le fondement habituel du mécanisme projectif. De même dans le phénomène du « bouc émissaire », tout un groupe (racisme, nazisme) projette son agressivité sur un autre groupe, ou sur un individu, se libérant ainsi de sa propre angoisse et de sa culpabilité.
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Écrit par
- Jacques POSTEL : médecin-chef au centre hospitalier Sainte-Anne, Paris
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