PROMÉTHÉE DÉLIVRÉ, Percy Bysshe Shelley Fiche de lecture
Avec son « drame lyrique » en quatre actes et en vers, Prométhée délivré (1820), Shelley (1792-1822), admirable traducteur, affirme son ardent désir d'originalité. Son adaptation libre, voire subversive, de la trilogie d'Eschyle (525-456 av. J.-C.) aujourd'hui disparue (Prométhée enchaîné) et du mythe de Prométhée (le Titan qui, pour avoir dérobé le feu du ciel afin de l'offrir aux hommes, se voit châtié de sa coupable transgression par Jupiter) ambitionne d'en inverser la conclusion : il serait catastrophique, estime-t-il, de chercher à réconcilier le Champion de l'humanité avec son Oppresseur en chef. Derrière le renversement attendu, et bientôt effectif, de Jupiter, vaincu et détrôné, se devinent d'évidents enjeux politiques, comparables à ceux qu'exprime le final de l'Ode au vent d'ouest que Shelley composa en 1819. Il s'agit de convertir l'échec de la Révolution française, la reconstitution de la Sainte-Alliance – pacte conclu en septembre 1815 par les souverains prussien, russe et autrichien, favorables à un idéal chrétien –, en victoire des idéaux de progrès, de liberté et d'humanité. Pareille conversion, pour réussir, se doit de délaisser le champ de l'Histoire pour celui du mythe.
Triomphe de l'amour
La scène du drame est à la fois cosmique et intérieure : ainsi, les Furies qui assaillent Prométhée, le Titan enchaîné aux parois des monts du Caucase ne sont jamais que le corrélat objectif, et dramatique, de ses propres facultés psychiques condamnées à s'entre-déchirer. De même, Prométhée ne peut s'engager dans une réelle dialectique de libération avant d'avoir renoncé au ressentiment et à la haine, formes aggravées de l'orgueil, pour se convertir au message d'humilité que prêche le Christ, dont il constitue un avatar poétique. C'est ainsi que besoin d'idéal et besoin de régénération personnelle apparaissent liés par le développement d'une action dramatique entièrement recentrée sur les mouvements de l'âme humaine. Le pouvoir tyrannique et répressif de Jupiter, qui représente le « Principe du Mal », et dont le drame retrace la généalogie, se voit finalement vaincu par les Heures immortelles liguées contre lui, ainsi que par l'émergence de Demogorgon (selon l'étymologie, la terreur inspirée par le peuple humain, la puissance d'une révolution à la fois destructrice et libératoire). Force oraculaire venue d'en bas, à l'origine des secousses sismiques et volcaniques qui ébranlent la croûte terrestre, Demogorgon, cette « forme effrayante » incarnant l'Éternité, est le fils que Jupiter a engendré après avoir épousé Thétis : Jupiter sera donc chassé par son propre fils, après avoir jadis chassé son père Saturne. La chute de l'un, à l'acte III, est rendue possible par le soulèvement de l'autre, ce qui bénéficie au héraut de l'humanité, Prométhée, secouru dans son malheur par l'amour que lui portent de nombreux personnages féminins, Asie en particulier, dont la quête mystique dans les profondeurs le libère en restaurant son unité spirituelle. Pourtant le lyrisme du drame dit moins la libération de Prométhée qu'il ne consacre l'empire nouveau du Prométhéen, à l'acte IV, et l'obéissance à une loi nouvelle, celle de l'amour : « L'Homme, âme unique et harmonieuse faite d'âmes multiples/ Dont la nature même est la loi, propre/ Où toutes choses se confondent comme les fleuves dans la mer ;/ Dont les actes familiers sont embellis par l'amour ;/ En qui labeur, douleur, chagrin, dans le vert bosquet de la vie,/ Se jouent comme des fauves apprivoisés, dont nul ne soupçonnait la douceur. »
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Écrit par
- Marc PORÉE : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Média