PROMÉTHÉE, mythe moderne
Il est plus significatif qu'étonnant de constater la mise en sommeil à peu près totale du mythe de Prométhée dans les arts et les lettres de l'âge médiéval. Les premières allusions au vieux titan grec apparaissent aux xvie et xviie siècles (Calderón écrit en 1669 La Estatua de Prometeo) et vont se multipliant au xviiie. La figure de Prométhée resurgit au carrefour des réflexions sur deux thèmes capitaux et connexes : rapport de la nature et de la civilisation, rapport de l'audace et du respect ; de ce deuxième thème va naître rapidement le troisième — révolte de l'homme aventurier contre la tyrannie divine — qu'il aurait été inconcevable de rencontrer explicitement au Moyen Âge.
Des sources grecques de la légende, on ne s'étonnera pas que celle d'Eschyle soit la plus exploitée alors (Hésiode est peu fréquenté par l'humanisme des Lumières et, plus curieusement, le dialogue de Lucien, Prométhée ou le Caucase, véritable pamphlet contre Zeus, n'est guère utilisé). Eschyle avait consacré à Prométhée une trilogie dont on sait que le Prométhée enchaîné nous est seul parvenu ; le Prométhée délivré qui lui faisait suite est perdu, de même que le Prométhée porte-feu, dont la place initiale ou terminale dans la trilogie est encore discutée. Il n'en est que plus intéressant de constater que toutes les œuvres modernes, même celles qui s'inspirent le plus directement du Prométhée enchaîné, semblent toutes rêver de reconstituer la synthèse de la trilogie perdue : l'aventurier créateur d'une humanité nouvelle, le porte-feu de la civilisation, l'insurgé vaincu, torturé par le dieu qui le tient captif, refusant tout remords et toute résignation, celui enfin qui a tenu en échec par sa seule connaissance la toute-puissance du dieu et qui arrache à Zeus la reconnaissance d'une liberté neuve.
L'accent est mis néanmoins avec une insistance plus ou moins exclusive sur l'un ou l'autre des trois aspects. Plus tard, par exemple, le romantisme identifiera couramment Napoléon captif à Sainte-Hélène à Prométhée enchaîné sur le Caucase (ainsi Hugo dans Le Retour de l'Empereur et de nouveau dans L'Expiation) ; c'est la dernière chose qu'aurait bien pu prévoir le jacobin italien Vincenzo Monti lorsqu'il entreprenait, en 1797, un poème épique, intitulé Il Prometeo, à la gloire du révolutionnaire libérateur sous les traits duquel l'Italie saluait alors le jeune général Bonaparte. Quelques années plus tard, Beethoven compose une musique de ballet pour Les Créatures de Prométhée de Vigano, où le rôle civilisateur de Prométhée, maître des techniques et des arts, est presque seul envisagé dans la plus pure tradition de l'Aufklärung ; par Vigano, il est sans doute informé de l'entreprise de Monti ; on ne s'étonnera pas dès lors de le voir reprendre le thème final du ballet, destiné à glorifier le triomphe de Prométhée, pour en faire le thème du finale de sa Symphonie héroïque (dont on sait qu'elle se nommait primitivement Symphonie Bonaparte).
En ce même tournant du xviiie au xixe siècle, l'évolution différente de Goethe à l'égard du mythe est caractéristique. Dans ses jeunes années du Sturm und Drang, il ébauche quelques scènes pour un Prometheus qui demeurera inachevé ; la dernière et la plus géniale est le cri de révolte et de défi lancé par Prométhée aux dieux : « Je ne sais rien sous le soleil de plus misérable que vous, dieux ! [...]. Moi, t'honorer ? À quel titre ? [...]. Qui a forgé cet homme que je suis, sinon le temps tout-puissant et le destin éternel, mes maîtres et les tiens ? [...]. C'est ici que je demeure, formant des hommes à mon image, pour souffrir, pour pleurer, pour goûter les plaisirs et les joies, et t'avoir en mépris, comme moi ! » Puis, bien des années plus[...]
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Écrit par
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