PROPAGANDE
Symboliques du pouvoir et prosélytismes religieux
Quels phénomènes peut-on recouvrir sous le mot de propagande avant l'avènement d'un répertoire d'État consacré à la manipulation des informations et au détournement des faits ? Les livres et articles dédiés à l'histoire longue de la propagande, en particulier les travaux de Jacques Ellul, traitent à la fois, pour la période précédant les xixe et xxe siècles, des entreprises de glorification de chefs charismatiques (rois et empereurs) et des stratégies d'expansion des religions.
La propagande peut être ainsi analysée comme un instrument de légitimation des centres de pouvoir, c'est-à-dire comme un ensemble de formes symboliques manifestant l'autorité et le rayonnement des élites régnantes ou gouvernantes. Dans une logique de conservation et d'extension de l'autorité dont disposent ces élites, des formes rhétoriques, iconiques, rituelles sont mobilisées pour justifier leur présence et leurs activités : cérémonies, décorations, monuments, discours, iconographies ou littératures édifiantes. Cette tendance à la glorification personnelle des chefs politiques, qui est aussi une propension à anthropomorphiser le pouvoir, est plus facilement repérable à travers des pratiques politiques traditionnelles que dans les régimes politiques contemporains. Il existe, dans cette perspective, autant d'activités de propagande que d'entreprises de symbolisation d'une grandeur politique et religieuse ou de stratégies d'extension territoriale d'une autorité spirituelle et politique.
Exemples antiques
On pourrait ainsi reconnaître dans la constitution à Delphes d'une confédération de communautés religieuses autour d'un même culte , vers 600 avant J.-C., une activité collective de propagande reposant sur une instance centrale (le clergé delphique) chargée d'amalgamer des traditions spirituelles et des légendes différentes pour en attribuer l'origine à son Dieu, Apollon. Les moyens de cette propagande reposaient à la fois sur des créations poétiques (la suite pythique), des fêtes, des reconstructions historiques (l'histoire de Crésus), des formes juridiques (lois criminelles inspirées par Delphes), et des maximes (le « connais-toi toi-même » repris par Socrate). On relève aussi fréquemment un usage plus ou moins systématisé des cérémonies rituelles et des instruments de la domination charismatique des chefs à la fin de la République romaine et sous le Principat, à travers l'émergence d'un art de la déformation légendaire, notamment dans les Mémoires et l'historiographie officiels du pouvoir, la circulation d'écrits et de rumeurs destinés à la pacification intérieure, la frappe de monnaies à l'effigie du prince comme support de renommée politique, la diffusion d'« affiches » contenant des éléments d'information divers, notamment des nouvelles et des discours politiques, des résumés de lois ou certains travaux du Sénat.
Il faut sans doute être particulièrement attentif, comme l'a rappelé Paul Veyne, aux problèmes d'anachronisme et d'historicité lorsqu'on attribue rétrospectivement à certains monuments ou à certaines œuvres d'art une dimension propagandiste. L'exemple de la colonne Trajane (iie siècle après J.-C.) commémorant la victoire de l'empereur romain sur les Daces peut être ainsi difficilement considéré comme un instrument de propagande, en dépit de l'interprétation historique la plus courante. Ce monument, qui rend compte dans le détail de cette expédition en une frise sculptée de 184 épisodes enroulée sur un fût de trente mètres, ne constituait en effet ni une information destinée aux contemporains, ni un art mis au service de la persuasion, dans la mesure où ces reliefs sculptés étaient à la fois peu visibles et trop savants pour constituer[...]
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Écrit par
- Xavier LANDRIN : chargé de cours en sociologie à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
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Médias
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