PROPHÉTISME
Essai de typologie
Chaque prophète se présente d'ordinaire, consciemment ou non, comme une figure unique, incomparable, voire irremplaçable. Aussi n'accepte-t-il la concurrence (les autres ne peuvent être que de faux prophètes) que dans les rares cas du prophétisme institutionnalisé : tels, autrefois, les pythies ou les prophètes culturels (auprès de Cybèle et d'Attis en Phrygie, par exemple). Il est tout aussi rare que plusieurs prophètes conjuguent leurs efforts au service d'une même cause, comme firent Christian Metz et Barbara Heinemann de la secte des inspirationnistes. Plus fréquent est le cas de prophètes qui se succèdent, bien qu'ils soient contemporains, quand l'un d'eux a été mis dans l'impossibilité d'exercer son action, tels les deux prophètes du kimbanguisme au Congo, Kimbangu et Matsùa. Faut-il conclure à la vanité de toute typologie ? Certes, il existe une grande diversité dans le prophétisme. À côté de formes nettement caractérisées, on rencontre un prophétisme diffus comme dans certaines sectes. Au cours d'assemblées de la communauté, l'Esprit peut inspirer prophétiquement de façon occasionnelle n'importe quel membre. Il est possible également de distinguer les prophètes auliques (attachés à la cour comme Neferrohu ou Ypouwer dans l'antique Égypte), les prophètes culturels (ceux qui sont attachés à un lieu de culte pour rendre des oracles, ou bien les sibylles et bakkides), les chresmologues ou prophètes populaires ambulants, les mystagogues qui exerçaient leur don prophétique au sein d'une confrérie d'initiés. On peut aussi distinguer la catégorie des prophètes sapientiaux, doctrinaux ou législateurs, dont la mission était de définir un nouvel ordre de lois et de règles de conduite ; la catégorie des prophètes exaltés, hallucinés, frénétiques et orgiaques, qui ne s'exprimaient que dans les moments de transe, de délire ou de convulsions ; et celle des prophètes extatiques et mystiques. On pourrait, enfin, faire une distinction entre les prophètes qui vaticinaient sous l'effet d'un stimulant extérieur (absorption de certaines plantes ou liquides, omophagie) et ceux qui obéissent uniquement à une voix intérieure. Du point de vue sociologique, la classification la plus pertinente semble être celle qui distingue, dans le prophétisme, une forme visionnaire et une forme missionnaire.
Le prophétisme visionnaire
Il existe d'abord ce qu'on pourrait appeler le prophétisme du dire, essentiellement orienté vers l'interprétation du gouvernement divin du monde. La parole sert alors à expliquer la vision et à la transmettre aux fidèles, sans que soit visée aucune action immédiate. Tel est le prophétisme de la révélation au sens authentiquement et exclusivement religieux du terme. Pour employer le vocabulaire de Rudolf Otto, on pourrait dire que le numineux se propose avant tout d'être du lumineux. Quel que soit le moyen par lequel la lumière est obtenue, excitants extérieurs, ascèse ou contemplation, le prophétisme de ce type cherche en premier lieu à expliquer et à enseigner pour aider les fidèles à réformer leur conduite dans le sens d'un approfondissement spirituel. Le prophète se considère comme l'instrument direct, peut-être imprévu, de la communication entre Dieu et les hommes afin de fortifier leur espérance hésitante face à l'obscurité des voies divines. Ce prophétisme n'exclut pas a priori la prévision, mais celle-ci n'est pas destinée à servir de prétexte à une action collective par-delà l'unité de la communauté des fidèles ou croyants. Sans doute peut-il donner naissance à des perturbations sociales, comme l'« Évangile éternel » de Joachim de Flore, qui, au Moyen Âge, opposa, dans la descendance franciscaine, les spirituels et les conventuels. Mais l'agitation[...]
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Écrit par
- Julien FREUND : professeur émérite à l'université des sciences humaines de Strasbourg.
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