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PROSLOGION, Anselme de Cantorbéry Fiche de lecture

Rédigé par Anselme de Cantorbéry (1033 ou 1034-1109), abbé bénédictin du Bec en Normandie, devenu primat d'Angleterre en 1093, canonisé et déclaré docteur de l'Église en 1720, le Proslogion doit son immense célébrité à l'énoncé d'une preuve de l'existence de Dieu, « tel que rien de plus grand ne peut être conçu ». Sans cesse commenté, repris, réfuté, l'argument dit « ontologique » ouvre un axe majeur dans l'histoire de la philosophie. L'œuvre nourrit aussi la réflexion théologique, dont elle a donné une définition fameuse : Fides quaerens intellectum, « la foi en quête d'intelligence ».

La preuve ontologique

Le Proslogion, « allocution » sur l'existence de Dieu, prend la suite du Monologion rédigé deux ans plus tôt (1076), « méditation sur la raison de la foi » dont le titre même (littéralement, « soliloque ») marque bien la filiation augustinienne ; ouvrage profondément novateur cependant, en ce qu'il proposait des preuves purement rationnelles de l'existence de Dieu – mais trop nombreuses et complexes, au dire d'Anselme lui-même dans son préambule au Proslogion, pour le satisfaire tout à fait. Aussi a-t-il cherché « un argument unique qui n'eût besoin que de lui seul pour se prouver et qui seul garantît que Dieu est vraiment, qu'Il est le bien suréminent, n'ayant besoin de rien d'autre, dont tous ont besoin pour être, et être bien, bref tout ce que nous croyons de la substance divine ». Cet unum argumentum a connu aussitôt une vie autonome, Anselme ayant édité à part les chapitres ii à iv(sur dix-sept) de son petit traité, avec le Pro insipiente de Gaunilon (les objections que lui fait l'« insensé »[insipiens], allusion aux Psaumes : « l'insensé a dit en son cœur : Dieu n'est pas ») et sa réponse à Gaunilon (Contra Gaunilonem). L'insensé doit au moins convenir d'un sens du mot Dieu, celui que lui donne le croyant : aliquid quo nihil majus cogitari possit, « quelque chose tel que rien de plus grand ne peut être pensé ». Cela du moins est dans son intelligence, s'il nie qu'il est en réalité ; l'argument unique consiste à montrer qu'il y a contradiction à poser cette définition, tout en niant l'existence de son objet.

La preuve est reprise par la scolastique, notamment les docteurs franciscains (Bonaventure, Alexandre de Halès). Mais Thomas d'Aquin, contestant (comme déjà Gaunilon) qu'on puisse déduire d'une idée l'existence (ou de l'existence dans l'intelligence, l'existence dans la réalité), préfère la voie « cosmologique » – affirmant la nécessité d'un « premier moteur » identifié à Dieu, preuve a contingentia mundi renouvelée ensuite par Leibniz – pour prouver l'existence de Dieu. Descartes réinvente l'argument ontologique dans ses Méditations métaphysiques. Kant le réfute dans la Critique de la raison pure (comme d'ailleurs l'argument cosmologique qui selon lui s'y ramène), en montrant que l'existence n'est pas un « prédicat réel » mais « simplement la détermination d'une chose ». Frege va plus loin encore, identifiant l'existence à une propriété du concept, mais en un sens particulier (Fondements de l'arithmétique, paragr. 53) : « affirmer l'existence, ce n'est rien autre que nier le nombre zéro », c'est-à-dire affirmer que le concept n'est pas « vide » en extension (il se trouve au moins un objet qui « tombe » sous le concept). Cette analyse logicienne n'épuise pas cependant le sens de l'argument, si l'on admet que la relation du signe à la chose ne se réduit pas au concept.

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  • ANSELME DE CANTORBÉRY (1033/34-1109)

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    ...extérieures à la manière de celles du xixe siècle, comme pour les « gentils ». Il explicite simplement une expérience immédiate du chrétien. Le Proslogion, qui eut d'abord pour titre Alloquium de ratione fidei (« allocution [aux moines] sur la raison de la foi » [et non exposé des démonstrations...
  • MÉTAPHYSIQUE

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    L'argument dit ontologique (rappelons encore que ce nom lui fut donné par Kant) est formulé pour la première fois par saint Anselme, en son célèbre Proslogion. Aux yeux d'Anselme, seul l'insensé, c'est-à-dire celui qui est privé de raison et ne craint pas d'énoncer des affirmations contradictoires,...