PROSTITUTION À L'ÉPOQUE MODERNE (XVe-XVIIIe SIÈCLES)
Du xvie au xviiie siècle, les institutions et les mœurs de la société occidentale moderne distinguent encore mal les notions de prostitution et de débauche. L’adjectif « publique », souvent accolé à ces deux termes, révèle que l’indignation générale repose sur le caractère ostentatoire de ces échanges charnels. La prostitution et la débauche entrent toutes deux dans la même catégorie de la « fornication » qui désigne, dans le langage chrétien, l’union sexuelle entre personnes non mariées.
Si cette confusion ne rompt pas avec la tradition médiévale, durant la période moderne se dessine toutefois la nouvelle tendance à interdire et réprimer de manière distincte la prostitution. Les bordels municipaux (prostibulum) qui avaient été instaurés dans certains pays durant le Moyen Âge sont progressivement fermés : au début du xvie siècle en Autriche et en Allemagne, au milieu du xvie siècle en France (édit d’Orléans de 1560) et en Italie et, plus tardivement, en Espagne (ordonnance de Philippe IV en 1623). Avant même l’acte prohibitif d’un roi ou d’un prince, de nombreux établissements municipaux de prostitution sont fermés, tantôt sous la pression populaire gagnée par le fanatisme religieux, tantôt par la volonté des notables qui délaissent les lieux communs de rencontres tarifées au profit des charmes des courtisanes.
Les autorités municipales qui jadis organisaient le commerce charnel se contentent désormais de réprimer les prostituées qui racolent et de surveiller les lieux de prostitution privés, parfois d’ordonner leur fermeture. Selon les lieux, les temporalités et les formes de contrôle de la prostitution diffèrent, mais le principe de l’interdit domine dans une Europe profondément bouleversée par la Réforme protestante et la Contre-Réforme catholique, et marquée par la montée en puissance des États qui cherchent à affirmer leur souveraineté.
La prostitution, entre contraintes et subversion
Une activité aux formes diversifiées qui dérange l’ordre social
Les historiens soulignent généralement la diversité des formes de la prostitution à l’époque moderne.
Pour les hommes, elle prend les traits du gigolo qui sait obtenir la protection de plus puissant que lui, du prostitué occasionnel né dans une famille socialement bien insérée dans la cité mais que la jeunesse éloigne encore du mariage, ou du garçon de passe ou de troupe que la contingence et la vie marginale rendent vulnérable aux réseaux de recruteurs. Les institutions notamment ecclésiastiques ont contribué à jeter un voile sur l’aspect mercantile de ces échanges sexuels. Les poursuites inquisitoriales condamnent en effet surtout la publicité faite à la pratique de la sodomie. Entre le milieu du xvie siècle et la fin du xviie siècle, les affaires qui sont instruites pour sodomie impliquent généralement plusieurs partenaires et la prostitution y tient une place substantielle.
Les hommes et les femmes qui utilisent leur sexualité comme fonds de commerce opèrent avant l’âge de 30 ans. Tout comme les hommes, il existe pour les femmes différents niveaux dans la prostitution : des femmes galantes qui reçoivent chez elles à la prostituée au plus bas de l’échelle, la « barbotteuse » des terrains vagues de la périphérie des villes, en passant par la grisette des beaux quartiers. Certaines racolent dans la rue avant de rejoindre un hôtel miteux, d’autres reçoivent dans leur somptueuse demeure ou, au contraire, dans de vilains garnis, certaines encore exercent leur activité à la journée ou uniquement lorsque sont organisées des fêtes privées, dans des maisons spécialisées dans les rencontres sexuelles tarifées tenues par des maquerelles, d’autres y sont domiciliées après avoir été emmenées par un souteneur ou un proche parent.
Pour les hommes comme pour les femmes, l’aspect financier de la prostitution n’est pas ce qui indigne[...]
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Écrit par
- Amélie MAUGÈRE : docteure en science politique, professeure à l'École de service social de l'université de Montréal, Québec (Canada)
Classification
Médias