PROSTITUTION AU MOYEN ÂGE
Du xive au xvie siècle, la prostitution contrôlée par les autorités municipales
La municipalisation de la prostitution
La municipalisation de la prostitution (1350-1560) désigne la prise en charge directe et indirecte de la prostitution par les édiles. Elle est particulièrement bien documentée pour les cités rhodaniennes et italiennes. Ainsi, les autorités municipales décident soit de définir un quartier où sera autorisée la prostitution, soit, avec parfois l’agrément du roi, de créer un lieu, un espace fermé appelé prostibulum, où se dérouleront les ébats sexuels. En principe, cette dernière décision implique la fermeture des bordels privés, mais en réalité la tolérance à leur égard subsiste. Au sein du prostibulum, les autorités urbaines assurent la sécurité de ses occupantes et de ceux qui les rejoignent pour quelques heures. À la tête de cette maison publique est placé un tenancier ou une maquerelle, parfois elle-même ancienne prostituée, qui assure la discipline entre les filles et surveille l’identité des clients, qui ne peuvent en principe être ni des prêtres ni des hommes mariés. Dans le sud de la France et en Italie, de nombreuses cités créent cet espace où l’on peut à la fois prendre du plaisir, jouer et manger : « pas de bonne cité sans bonne maison » selon l’historien Jacques Rossiaud. Le prostibulum cache ce qu’il y a de plus honteux, la fornication, mais il n’exclut pas, à cette époque, le racolage dans la rue. La maison publique n’est pas une maison close.
Les autorités de la cité, à travers le Conseil de la ville, interviennent pour surveiller les lieux de prostitution appartenant à des particuliers comme les étuves (établissements de bains) et bordels privés, ou encore pour tenter de limiter le racolage à certaines rues et de faire respecter les diverses réglementations stigmatisant les prostituées, comme le port de l’aiguillette (une marque de couleur vive tombant de l’épaule) ou les restrictions vestimentaires (interdiction de porter le voile comme les femmes dites honnêtes). Les édiles vont par ailleurs intervenir directement dans l’économie prostitutionnelle : ils vont construire un prostibulum sur les deniers publics, imposer le lupanar à une femme ayant violé trop ostensiblement les règles de la morale matrimoniale, statuer sur l’entrée d’une femme à la maison publique et lui demander de prêter serment pour respecter un code de bonne conduite. Cette intervention directe des autorités municipales dans la prostitution, qui perdure jusqu’en 1560 en France, est étonnante et doit être interrogée.
La justification des cités pour organiser la prostitution
La doctrine religieuse autour de la prostitution s’assouplit progressivement : les églises acceptent les aumônes des prostituées car leur activité est avant tout un métier et, selon Thomas d’Aquin (1224 ou 1225-1274), l’activité sexuelle rémunérée est une pratique moins infamante que la fornication libre, fruit de la spontanéité des pulsions. Les autorités municipales ont pu puiser dans cet argumentaire pour justifier leur décision de construire des bordels. Conformément aux prescriptions religieuses, elles mettent ainsi bon ordre charnel dans la cité. En effet, dans ces établissements, des femmes autrefois sans tutelle institutionnelle et jugées peu respectueuses de l’honneur des familles travaillent désormais pour la ville.
La municipalisation de la prostitution illustre toutefois la tension qui existe entre une logique pragmatique de gestion et une logique morale. En effet, si les autorités religieuses soulignent la faible gravité de la prostitution, le fait de vendre ses charmes reste honteux. Elles n’enjoignent pas à ériger des bordels, mais plutôt à créer les conditions propices au repentir des prostituées (en leur offrant des opportunités comme le mariage ou l’entrée au couvent). Dans cette tension entre préoccupations[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Amélie MAUGÈRE : docteure en science politique, professeure à l'École de service social de l'université de Montréal, Québec (Canada)
Classification
Médias